Une très grande démission qui dure dans l’Hébergement Restauration

Près d’un salarié sur trois embauché en CDI dans la branche a démissionné en 2022, selon une étude de la Dares (ministère du Travail). Les démissions de CDI ont atteint l’an dernier un taux record de 31,2 %, alors que la moyenne générale de l’économie française se situait à 10,4 % et que la construction, en deuxième position, culmine à 10,4 %. Si ce taux a augmenté suite à la crise sanitaire, il atteignait déjà 27,7 % en 2019 dans l’Hébergement Restauration. Plus de 354 000 salariés ont démissionné en 2022, dont près de 312 000 CDI. Les raisons en sont multiples.

Près d'un salarié sur trois embauché en CDI dans la branche a démissionné en 2022, selon une étude du ministère du Travail. Les démissions de CDI ont atteint l'an dernier un taux record de 31,2 %, alors que la moyenne des secteurs d'activité de l'économie française s'est élevée à 10,4 %. Si ce taux a augmenté suite à la crise sanitaire, il atteignait déjà 27,7 % en 2019 dans l'Hébergement Restauration. Plus de 354 000 de ses salariés ont démissionné en 2022, dont 312 000 embauchés en CDI. Les raisons en sont multiples et ne tiennent pas qu'à l'attractivité de leur emploi.

Les démissions vont de pair avec l'expansion économique et son corollaire, les tensions sur le marché de l'emploi. La négociation entre l'employeur et le salarié se rééquilibre alors en faveur de ce dernier qui n'hésite plus à démissionner pour obtenir ailleurs de meilleures conditions de travail et de rémunération. Photo : Krakenimages.com - Adobe Stock.

Un taux de démission record dans les CDI mais déjà élevé avant la crise sanitaire

Lecture : en moyenne en 2022, sur 100 CDI dans l’hébergement-restauration, 31,2 CDI prennent fin suite à une démission.
Champ : France métropolitaine, secteur privé hors agriculture, intérim et particuliers employeurs.
Source : DSN-Sismmo. MMO. Calculs Dares (Direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques).
354 317 démissions en 2022 dont 311 970 de CDI

Avant-crise, ce taux était déjà nettement plus élevé dans l’Hébergement-Restauration (27,7 %). Bien plus que dans la construction (10,4%), deuxième secteur le plus touché. Ou que dans les autres services (entre 8 % et 10 %). L’industrie en paraissait même épargné, avec 4,7 % seulement de démissionnaires.

La Dares n’a pas publié de taux pour les années antérieures à 2019. Mais en comparant cette fois les effectifs de démissionnaires depuis 2007, le pic de démissions de CDI dans l’Hébergement Restauration se situe en 2008, avec 321 411 ruptures volontaires de CDI. Soit 10 221 de plus qu’en 2022  (311 190).

Ce constat se vérifie également dans l’ensemble de l’économie française. Avec une cime de démissions en 2007 et 2008. Puis une baisse progressive et un creux en 2009 et 2015. Les démissions reprennent ensuite leur essor jusqu’en 2019. Leurs volumes se contractent en 2020 sous l’effet du chômage partiel, qui a dissuadé les salariés de démissionner. Ils se gonflent à nouveau en 2021 et plus encore en 2022.

Du reste, l’effet « crise sanitaire » sur l’emploi a touché tous les principaux secteurs d’activité. Et c’est également dans l’HR que les démissions, en termes absolus, ont le plus augmenté entre 2019 et 2022 :  de +3,5 points, contre +1,9 sur l’ensemble du champ.

Les hausses relatives entre 2019 et 2022 sont cependant plus importantes dans l’industrie (+1,5 pt de pourcentage, soit +31 %), dans l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale privés (+2,1 pts, soit +24 %), ainsi que dans le commerce (+2,4 pts, soit +24 %).

Mais cela ne consolera pas les employeurs…

Plus un secteur embauche, plus les démissions augmentent…

Peu connue jusque là, rarement publiée, cette statistique sur les taux de démission a de quoi impressionner. Elle objective ce que la plupart des employeurs ont vécu et subi… Tout particulièrement les employeurs de l’Hébergement Restauration. Car c’est dans cette branche que le taux de démission est, de très loin, le plus élevé.

Productrice de ces statistiques, la Dares (direction de la recherche au ministère du Travail) propose une analyse du phénomène démissionnaire applicable, selon elle, à tous les secteurs d’activité.

Premier constat :  les taux de démission ont, certes, augmenté avec la crise sanitaire. Mais les volumes de démissions furent déjà élevés dans le passé, en particulier vers 2008.  La Dares, par conséquent, conteste l’idée d’une « grande démission ».

Les taux de retour à l’emploi augmentent aussi…

D’autant que les taux de retour à l’emploi sont restés, eux aussi, très élevés. Au second semestre 2021, huit démissionnaires de CDI sur dix avaient retrouvé un emploi dans les six mois qui suivaient leur démission (enquête Dares). Cette proportion est restée stable par rapport à l’avant-crise sanitaire.  Et elle tend même à s’élever.

Le taux de démission a augmenté. Mais le taux de retour à l’emploi a progressé lui aussi. Et cela dans toutes les classes d’âge. Au premier trimestre 2022, ce pourcentage dépassait d’ailleurs légèrement son niveau d’avant crise. Et même plus fortement encore en incluant le taux d’emploi des indépendants et des alternants.

S’agissant de l’Hébergement Restauration, on est frappé d’ailleurs de constater que ses effectifs ont de nouveau fortement augmenté depuis 2021.  En 2022, avec 1,255 million de salariés sous contrat, record historique  ils ont augmenté de +4,3 % par rapport à 2021 et de +6,4 % sur 2019. En dépit de ses difficultés de recrutement, et d’une supposée pénurie de 200 000 postes non pourvues, la branche a été à l’origine de la création de près d’1 emploi sur 4 dans l’économie française en 2022 (52 200 sur un total de 230 900).

Débaucher les meilleurs candidats qui se proposent aux entreprises socialement mieux disantes

Selon la Dares, ce haut niveau du taux de démissionnaires est justement « à mettre en regard avec les difficultés de recrutement ».  Plus un secteur embauche, plus il rencontre de difficultés à embaucher. Et plus les démissions augmentent. Les entreprises n’hésitent pas d’ailleurs à « débaucher» les meilleurs candidats. Et les démissionnaires à se proposer aux plus offrantes d’entre elles…

N’est-ce-pas ce qui se passe dans l’Hébergement Restauration ? Les demandeurs font jouer la concurrence… L’inflation et le Smic indexé dessus ont rattrapé les salaires minima conventionnels en vigueur depuis avril 2022. Du coup, les candidats privilégient les entreprises qui rémunèrent au-dessus de ces minima. Et qui leur proposent aussi des horaires de travail plus aménagés (et des logements pour les saisonniers…).  Nous faisons l’hypothèse que les entreprises socialement mieux-disantes rencontrent moins de difficultés à recruter et connaissent moins de démissions. Mais elles en connaîtront quand même…

Un indicateur « cyclique » de la conjoncture économique

La Dares l’affirme, « le niveau élevé des démissions est à relativiser, au vu des tensions actuelles sur le marché du travail. Les difficultés de recrutement sont à des niveaux inégalés dans l’industrie manufacturière et les services, et au plus haut depuis 2008 dans le bâtiment. Cette situation créée des opportunités pour les salariés déjà en poste et est susceptible en retour de conduire à des démissions plus nombreuses. »

Par conséquent, le taux de démission est bien un indicateur « cyclique ». « Il est bas durant les crises et il augmente en période de reprise, poursuit la Dares, d’autant plus fortement que l’embellie conjoncturelle est rapide. Durant les phases d’expansion économique, de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, incitant à démissionner plus souvent. » 

Cinq causes expliquant les difficultés à recruter 

Selon la théorie économique, les difficultés de recrutement ont quatre causes. Trois d’entre entre elles tiennent à des «inadéquations » entre offre et demande de travail. Inadéquation géographique. Inadéquation des compétences. Inadéquation de l’offre elle-même. La quatrième cause tient à l’attractivité de l’émetteur de l’offre : rémunération, conditions et qualité de vie au travail, évolution de carrière…

A ces quatre causes, la Dares en ajoute une cinquième : « le dynamisme intrinséque du marché du travail » Quand le marché fonctionne bien, les entreprises recrutent beaucoup et souvent. Et les difficultés de recrutement vont aussi en augmentant. Le taux de chômage baisse, la main d’oeuvre immédiatement disponible diminue aussi. Du coup, le salarié est en meilleur position pour négocier. Ces tensions changent le rapport de force, de négociation des salariés, Ils hésitent moins à démissionner, jugeant le risque marginal. Surtout quand une entreprise leur propose mieux, en terme de salaires et de conditions d’emploi.

Michael Orand, économiste-statisticien, chef de la mission d’analyse économique à la Dares, explique très bien le phénomène. Nous recommandons de visionner son audition en janvier 2023 par le Sénat, sur le thème : La France vit-elle une grande démission ? 

Résumé de l’analyse de la Dares

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