L’article 10 du projet de loi de financement de la sécurité sociale
(à l’issue de sa première lecture à l’Assemblée nationale)
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 613-1 est ainsi modifié :
a) Le 8° est remplacé par les dispositions suivantes :
« 8° Les personnes, autres que celles mentionnées au 7°, dont les recettes tirées de la location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés sont supérieures au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l’article 155 du code général des impôts, lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au mois et n’y élisant pas domicile ou lorsque ces personnes remplissent les conditions mentionnées au 1° du IV de l’article 155 du code général des impôts ; »
b) Après le 8°, il est inséré un 9° ainsi rédigé :
« 9° Les personnes exerçant une activité de location directe ou indirecte de biens meubles mentionnée au 4° de l’article 110-1 du code du commerce et dont les recettes annuelles tirées de cette activité sont supérieures à supérieures à 20 % du montant annuel du plafond mentionné à l’ article L. 241-3 du présent code. »
2° La section 2 bis du chapitre III bis du titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale est complétée par un article ainsi rédigé :
« Art. L. 133-6-7-3. – Les travailleurs indépendants exerçant leur activité par l’intermédiaire d’une personne dont l’activité consiste à mettre en relation par voie électronique plusieurs parties en vue de la vente d’un bien ou de la fourniture d’un service, peuvent autoriser par mandat cette dernière à réaliser par voie dématérialisée les démarches déclaratives de début d’activité auprès du centre de formalités des entreprises compétent conformément aux dispositions du code de commerce.
« Lorsqu’ils relèvent des dispositions de l’article L. 133-6-8, les travailleurs indépendants peuvent autoriser par mandat la personne mentionnée à l’alinéa précédent à procéder à la déclaration du chiffre d’affaires ou de recettes réalisés au titre de cette activité par son intermédiaire ainsi qu’au paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale dues à compter de leur affiliation, au titre des périodes correspondant à l’exercice de cette activité, auprès des organismes de recouvrement concernés.
« Dans ce cas, les cotisations et contributions de sécurité sociale dues sont prélevées par la personne mentionnée au premier alinéa sur le montant des transactions effectuées par son intermédiaire. Ce paiement vaut acquit des cotisations et contributions de sécurité sociale par ces travailleurs indépendants. »
II. – Les dispositions du 2° du I du présent article entrent en vigueur au 1er janvier 2018.
Ce n’est que notre analyse (mais on la partage !)
Un choix précipité et inadéquat
La manière avec laquelle le Politique fabrique la loi ne lasse pas d’inquiéter. S’agissant de celle sur le financement de la sécurité sociale, et pour ne considérer qu’un seul article mais oh combien important, celui qui instaure des cotisations sociales sur les revenus collaboratifs des particuliers, force est de constater une fois encore que l’Etat ne mûrit pas assez ses projets législatifs, aussi légitimes soient-ils.
Personne ne contestera la nécessité de fixer un cadre social aux nouvelles activités économiques, en particulier numériques. Pour « protéger » les acteurs économiques eux-mêmes et le « modèle français » de protection. Et pour tendre à une compétition libre Et loyale entre ces activités émergentes et celles traditionnelles qu’elles concurrencent.
Pour quelle raison le projet gouvernemental de taxation des locations collaboratives est-il inadéquat voire contre-productif ? Parce qu’il recourt à des normes traditionnelles adaptées à des activités traditionnelles pour encadrer des activités qui sont innovantes et exigeraient des normes qui le soient aussi.
Ni le RSI ni son corollaire, le statut de loueur professionnel, ne sont adaptés aux pratiques collaboratives occasionnelles, non professionnelles, les plus fréquentes aujourd’hui. Celles qui procurent des revenus complémentaires provenant de l’utilisation d’un patrimoine unipersonnel ou familial.
Les loueurs occasionnels étant couverts déjà par un régime d’assurance santé et d’assurance vieillesse, on ne voit pas la pertinence de les obliger à cotiser à une deuxième caisse, de surcroît à celle réservée aux professionnels indépendants… On ne sache pas qu’en France on puisse être remboursé deux fois de ces dépenses de santé par deux régimes principaux différents !
On ne s’étendra pas non plus sur le risque industriel que l’Etat prendrait en confiant cette couverture au RSI, qui a fait l’objet de plusieurs rapports critiques sur sa gestion calamiteuse, même si la caisse des indépendants, à coup de plans d’amélioration, fonctionnerait mieux aujourd’hui lit-on ici ou là. « Le RSI est un désastre », a admis le premier ministre Manuel Valls. Est-ce parce que le RSI avait été créé par la Droite en 2005, sous le gouvernement Raffarin ?
Pour instaurer une « taxation » sociale Et fiscale, des activités collaboratives occasionnelles, un autre instrument existe pourtant, plus juste, plus simple, plus moderne. C’est la CSG, Contribution Sociale Généralisée, inventée en 1990 par Michel Rocard. Une taxation prélevée, faut-il le rappeler, à la source et proportionnelle aux revenus, avec une assiette très large. La CSG s’applique en effet aux revenus d’activité, de remplacement, de placement ou de… patrimoine. Avec les locations collaboratives, nous sommes bien dans ce dernier cas de figure.
Le Gouvernement, dans l’état de son projet, a fixé des seuils arbitraires pour cotiser au RSI : 23 000 euros pour les biens et services immobiliers, 7 720 euros pour les mobiliers. On notera au passage l’inégalité de traitement : imposé à partir de 643 euros par mois pour le mobilier (7720/12 = revenu mensuel théorique), mais de 1917 euros sur l’immobilier.
Ce système de seuil nous semble injuste, irréaliste et limitant même pour le rendement de la future collecte. Avec d’un côté donc, des loueurs qui ne cotiseront pas (ceux qui ne dépassent pas les seuils) et de l’autre, des loueurs assimilés à des professionnels et imposés au maximum (ceux qui les excèdent).
Le projet du Gouvernement, dans son état actuel, méconnait la complexité de la situation. Comme le lui recommandait le rapport du député Pascal Terrasse, il eût fallu d’abord « clarifier la doctrine de l’Administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais et celle de l’Administration sociale sur la notion d’activité professionnelle. »
On ne sait pas ce qu’il va advenir de ce projet d’article 10 adopté par une poignée de députés et en l’absence de Pascal Terrasse (hostile d’ailleurs à l’article), compétent et raisonnable sur le sujet. Il faut espérer un remaniement complet du dispositif lors de la navette parlementaire. La piste de la CSG modulée nous semble être la plus pertinente. Et si le gouvernement veut absolument instaurer des cotisations sociales classiques sur des activités collaboratives non professionnelles, il convient dans ce cas que le loueur occasionnel conserve la possibilité de cotiser au régime général.
Des débats de qualité qui traduisent les convictions et l’embarras des députés
Débats à l’Assemblée nationale du 26 octobre 2016
debats-assemblee-nationale-art-10-26-octDébats à l’Assemblée nationale du 26 octobre 2016 : seconde délibération
debat-assemblee-nationale-27-octobre-seconde-deliberationExposé des motifs de l’article par le Gouvernement
« Le développement de l’économie numérique a permis l’émergence de nombreuses plateformes collaboratives aux modèles économiques multiples dont la caractéristique commune est de faciliter une relation de pair à pair en vue de la mise à disposition ou l’échange de biens ou de services.
Certaines plateformes s’inscrivent dans le cadre des activités de l’économie du partage entre particuliers, sans que l’échange des biens ou des services qu’elles permettent puisse être considérée comme une activité de nature professionnelle. D’autres plateformes, en revanche, peuvent accueillir des personnes réalisant des activités à but lucratif de nature professionnelle dans le cadre d’un échange commercial ou d’une prestation de service.
Si le développement de l’économie numérique pose avec une acuité renforcée la question des frontières, le seul fait de réaliser des activités par le biais d’une plateforme numérique ne modifie pas la nature même de l’activité et ne doit donc pas conduire à un régime juridique différent, dans un souci d’équité avec les activités comparables au sein de l’économie traditionnelle.
Ainsi, les activités lucratives réalisées sur des plateformes (achat/revente ou prestations de service) n’étant pas différentes de celles des mêmes activités réalisées dans le cadre de l’économie plus traditionnelle, il n’y a pas lieu de prendre des dispositions législatives venant préciser leur cadre juridique applicable ni de créer un nouveau régime d’affiliation ou d’assujettissement pour ces activités numériques.
Le développement très dynamique des plateformes numériques permettant la location de biens meubles ou immeubles impose en revanche de définir dans la loi une frontière claire entre les revenus du patrimoine et les revenus d’activité, afin de distinguer la situation des personnes qui gèrent leur capital de celles qui exploitent leur bien en vue d’en tirer un profit, notamment en fournissant certaines prestations complémentaires à des fins professionnelles.
La présente mesure prévoit que la location régulière de meublés pour de courtes durées à destination d’une clientèle de passage est considérée, au-delà d’un certain seuil de recettes, comme une activité professionnelle conduisant à l’affiliation au RSI comme travailleur indépendant. Les locations sur des courtes durées sont généralement associées à la fourniture de services (fourniture et remplacement du linge de maison ou fourniture d’une prestation de ménage, mise à disposition de connexions internet sans fil,…), qui s’ajoutent généralement à la mise à disposition du seul logement, allant donc au-delà de la simple gestion d’un patrimoine personnel pour s’apparenter à une prestation commerciale. La durée de la location constitue un critère objectif, et ainsi clair et sécurisant pour les personnes mettant en location des meublés. Pour ces activités, le seuil d’affiliation serait fixé, par similarité avec le seuil retenu pour identifier les activités professionnelles de locations de meublés, à 23 000 de recettes ou chiffre d’affaires au titre de cette activité par l’ensemble des membres du foyer fiscal.
Selon la même logique, le seuil d’affiliation s’agissant des activités de locations de biens (voiture, notamment) serait quant à lui fixé par décret à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale de recettes ou de chiffre d’affaires (3 860 euros).
Afin d’accompagner les travailleurs indépendants dans l’application du droit social, le second volet de la mesure vise à faciliter leurs démarches administratives et sociales permettant l’affiliation, l’assujettissement et le recouvrement des cotisations sociales, pour les travailleurs indépendants ayant recours à ces plateformes d’intermédiation pour des activités de faible volume. Ainsi, la possibilité sera offerte pour les plateformes d’assurer pour le compte des utilisateurs, à leur demande, les démarches d’affiliation, de déclaration sociale et de paiement des cotisations et contributions sociales. »