Alain Ducasse, propriétaire de cette institution parisienne, a mobilisé une équipe pluri disciplinaire, architecte-designer-médecins-ingénieurs, pour concevoir un dispositif innovant et certifié. Clef du concept, une climatisation-filtration qui empêche la circulation d'aérosols contaminant de table en table, combinée avec des paravents et des centres de table. Le restaurant conserve 40 de ses 50 places assises.
On le sait perfectionniste, intransigeant, mais capable de faire confiance à d’autres compétences que les siennes. Pourvu qu’elles excellent ! Alain Ducasse qui veut, dit-il, « toujours aller au bout de ses idées » a voulu faire du réaménagement du restaurant Allard (Paris 6 ème), un cas d’école. Un terrain d’expérimentation qui associe des savoir-faire scientifiques, techniques et artistiques. Avec une ambition claire : assurer la sécurité sanitaire du personnel et des clients. Tout en préservant au maximum la capacité d’exploitation et la convivialité du lieu.
Le chef multi étoilé a pour cela trouvé le bon attelage. Car l’objectif semble atteint. Et dans un délai record d’achèvement, moins de dix semaines. Depuis les premières ébauches produites le 24 avril, jusqu’aux tests de validation du prototype expérimental début juin.
Le point clef du concept tient d’abord à un parti pris scientifique. Traiter le sujet à partir de l’air ambiant et de son risque élevé de contamination, dans un milieu aussi dense en présence humaine.
Architecte et ingénieur, Arnaud Delloye a imaginé un dispositif reposant sur l’équilibre aéraulique dynamique et la filtration de l’air neuf et de l’air souillé. Au-dessus de chaque table, à 2,20 m du sol, il a disposé une bouche d’extraction et une bouche de soufflage d’air neuf reliée à une tuyauterie en tôle galvanisée. L’une et l’autre équipées d’un module de régulation pour équilibrer automatiquement les apport en entrée et les débits en sortie.
Trois validations successives, des tests à l’appui
Les bouches de soufflage d’air neuf sont équipées de chaussettes filtrantes. Leur surface (supérieure à 100 cm2) assure une vitesse très basse (0,07 m/s) et une diffusion uniforme de l’apport d’air. Quant aux bouches d’extraction, elles permettent de renouveler l’air à raison de 5 volumes par heure, soit plus de trois fois ce qu’exige la norme.
Cette installation, additionnée à l’effet des paravents entre chaque table et des séparateurs au centre de chaque table, maintient une vitesse de déplacement d’air inférieure à 0,1 m/s en tous points « statiques». C’est-à-dire mesurée aux places occupées par les clients immobiles. Chaque convive se trouve ainsi dans une sorte de bulle d’air dynamique quasiment autonome. Résultat, le restaurant a pu maintenir ses tables assez proches les unes des autres. En s’émancipant des normes strictes de distanciation. Allard a donc pu aménager 40 places assises, contre 50 précédemment.
Ce projet a fait l’objet de trois validations successives. La première en amont, quand il n’était encore qu’un croquis. Deux médecins de l’hôpital Pitié-Salpétrière l’ont examiné à la loupe. Le professeur Thomas Similowski, chef de service de pneumologie, médecine intensive et réanimation, et le Professeur Jérôme Robert, chef du service de bactériologie et d’hygiène hospitalière. L’un et l’autre ont jugé pertinente l’intuition de départ mais nécessitant donc d’être développée,retravaillée.
Un coût de 45 000 euros qui justifierait un crédit d’impôt Covid-19
Les deux autres validations intervinrent en aval. L’Institut National de Recherche et de Sécurité examina la note de synthèse du projet. Il confirma son aptitude à « permettre une très forte réduction du risque de transmission du virus dans une salle de restaurant.».
Enfin, l’Uteam, filiale de l’Université de technologie de Compiègne, procéda début juin à des campagnes de tests. En simulant pour chaque table de la grande salle à manger des émissions d’aérosols artificiels émis par un client lors d’une conversation à table. « Le comptage comme les prélèvements des aérosols sur les tables voisines n’a pas permis de détecter la présence de cet aérosol, indiquent ses experts. » Et de conclure : « Le dispositif testé réduit très fortement le risque de contamination du virus Sars-Cov-2. »
Cette installation, études comprises, a évidemment un coût ! De l’ordre de 45 000 euros. Les concepteurs suggèrent qu’elle puisse bénéficier d’un crédit d’impôt ou des prêts remboursables. Il parait en tout cas accessible à un prêt Bpifrance. L’Etat n’y serait pas forcément perdant. En limitant la perte d’exploitation, elle diminuerait le recours au chômage partiel. Et donc son coût pour l’Etat, qui le prend en charge jusqu’au 31 décembre 2020.
Les principaux intervenants sur le projet Allard
De gauche à droite : Stéphane Pimbert (INRS), Pierre Tachon (Soins Graphiques), Hervé Marchaudon (Cap Ingelec), Nicolas Roman (Enerclimat), Delphine Héraud (Ducasse Paris), Patrick Jouin (designer), Arnaud Delloye (architecte), Jérôme Robert (professeur de médecine), Alain Ducasse, Martin Morgeneyer (UTeam)
Arnaud Delloye, l’architecte du projet
« Tout se passe comme si chaque table était placée sous une cloche virtuelle dynamique.
En général, l’architecte que je suis conçoit des volumes qui se voient avec des matériaux qui se voient. Chez Allard, le dispositif mis en place rend visible une architecture invisible. »
Au-dessus de chaque table, une bouche de soufflage d’air neuf recouverte d’une « chaussette» illustrée par Julie Serre et une bouche d’extraction individuelle
L’artisan Jean-Claude Jouin, le père de Patrick Jouin, a fabriqué les centres de table, avec le concours la société Ingénierie & Culture. Paul Champs, agenceur à Brest, labellisée entreprise du patrimoine vivant, a réalisé les paravents de séparation de table en utilisant un matériau issu de la voile, le Myla. Quant à l’illustratrice Julie Serre, elle a dessiné le motif de chaque « chaussette » disposée à la sortie d’arrivée d’air.