Les trois défis de la ministre Sylvia Pinel

Précocité politique de Sylvia Pinel. Elle fut élue députée à l’âge de 29 ans. Elle vient d’être nommée ministre à l’âge de 34 ans.

Bâtir une politique de gauche pour le tourisme, relancer l’industrie et la destination touristique France et gérer l’héritage Sarkozy, en particulier la TVA à taux réduit. Ce sont les trois tâches prioritaires qui attendent Sylvia Pinel, la nouvelle ministre déléguée à l’Artisanat, au Commerce et au Tourisme, et benjamine du gouvernement. L’analyse d’HR-infos.


Ce n’est que notre analyse (mais on la partage !)

Comment changer, redresser, sans tout casser

D’abord, les bonnes nouvelles. C’est une femme jeune et enracinée dans sa région Midi-Pyrénées, dont elle conserve un bel accent tarn-et-garonnais, qui a pris la tête d’un ministère cohérent, centré sur l’Artisanat, le Commerce et le Tourisme et rattaché à celui du Redressement productif, confié à Arnaud Montebourg. Voilà qui tranche avec l’auberge espagnole tenue par son prédécesseur, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat croulant sous sept tutelles, ce qui n’était pas vraiment un gage d’efficacité.
Certes, l’Umih et le Synhorcat, les deux premières organisations patronales des HCR, appelaient à un ministère dédié exclusivement au tourisme ou à une délégation interministérielle au tourisme. Ils n’ont pas été entendus, ils demandaient peut-être beaucoup. A ce compte, un gouvernement de 40 ministères, au lieu de 34, n’y auraient pas suffi. Car d’autres grands secteurs aux enjeux transverses, comme le bâtiment, l’aéronautique ou l’énergie, étaient tout aussi légitimes pour y prétendre. Ou encore l’agro-alimentaire, opportunément couplé à l’agriculture. Quoi qu’il en soit, trois domaines homogènes et complémentaires réunis dans un seul ministère, cela est toujours préférable à sept secteurs hétérogènes regroupés dans un secrétariat d’Etat. Surtout si les budgets et les compétences suivent.
La moins bonne nouvelle, ensuite. Sylvia Pinel, si l’on en croît ses biographies accessibles (glanées sur les sites de l’Assemblée nationale, de wikipédia, des médias et de son blog personnel), n’a jamais eu au cours de sa vie professionnelle (autrement dit de sa carrière politique) à traiter de ces trois domaines. Elle n’a pas non plus été en charge du volet tourisme dans l’équipe du candidat Hollande.Cette inexpérience est-elle pour autant rédhibitoire ? Chacun jugera sur pièce, par ses décisions à venir. Elle ne sera ni le premier ni le dernier ministre à arriver à son poste sans maîtriser la spécialité.
Etait-elle pressentie d’ailleurs de longue date pour le poste? Pas plus. Les observateurs de la vie politique française savaient, qu’au nom de l’équilibrage au sein du gouvernement des forces socialistes, écologistes et radicales composant la majorité présidentielle, un membre au moins du Parti Radical de Gauche figurerait dans l’équipe de Jean-Marc Ayrault. Le nom de leur patron, Jean-Michel Baylet, était avancé pour le portefeuille de l’agriculture. Il sera finalement réservé à un fidèle de François Hollande, Stéphane Le Foll. C’est donc un autre ministère, délégué celui-là, qui reviendra finalement au PRG, confié à Sylvia Pinel, une proche de Jean-Michel Baylet, dont elle fut le chef de cabinet.
Un droit effectif aux vacances pour tous les Français
Trois grands axes pourraient orienter l’action de Sylvia Pinel. En premier lieu, bâtir une nouvelle politique, de gauche, pour le tourisme, incarnant le changement et le redressement prônés par François Hollande. Le Tourisme n’est pas évoqué dans les 60 engagements du projet de François Hollande. Mais le président de la République s’est exprimé sur le sujet lors de sa campagne. Notre confrère Tourmag a publié ainsi une tribune sur le tourisme signée par les experts tourisme du candidat hollande
dans lesquelles ils prônent la création d’une filière industrie touristique fédérant tous les acteurs concernés.
Parmi les priorités esquissées dans cette tribune, nous retiendrons la plus emblématique d’une politique de gauche : instaurer un droit effectif aux vacances pour tous par des actions tournées en priorité vers les 46% des Français qui ne partent pas en vacances, vers la réhabilitation des équipements d’hébergement touristique et vers le développement de l’Agence Nationale pour les Chèques-Vacances (ANCV). Un bel objectif, mais forcément conditionné par un retour de la croissance économique, proche de zéro, et un recul du chômage, qui aujourd’hui touche 10 % de la population active.
Réussira-t-elle là où ses prédécesseurs ont échoué?
Le deuxième axe de Sylvia Pinel se situerait dans la continuité de l’action inachevée de ses prédécesseurs Novelli-Lefebvre : relancer la destination France, par une croissance de ses recettes. Les indicateurs statistiques ne manquent pas pour brosser une situation moins satisfaisante que les pouvoirs publics ne l’affirment. Certes, notre pays reste le premier capteur mondial de touristes internationaux (76,8 millions d’arrivants en 2010) et le troisième pour les recettes générées (46,3 milliards $). Mais nos recettes touristiques globales et par tête ont reculé en 2010 selon les derniers chiffres de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT). De plus, la France ne se situe qu’au 14 ème rang mondial pour les dépenses par touriste. Un performance médiocre due en particulier à la faiblesse chronique du tourisme d’affaires dans l’hexagone.
Pour bâtir sa doctrine, nous recommanderons à l’équipe de Sylvia Pinel la lecture de trois études récentes. D’abord, le rapport de Gilles Pélisson, l’ancien patron du groupe Accor, sur le tourisme d’affaires dans le Grand Paris, préconisant d’investir dans les infrastructures pour relancer ce segment stratégique et le hisser au rang de la France, cinquième puissance économique mondiale. Ensuite, le Livre Blanc de la Modernisation Hôtelière et Touristique préparé par Mark Watkins et une équipe d’experts, qui préconise des aides ciblées pour relancer l’hébergement et une révision de la réglementation. Et enfin, le Manifeste de l’Umih et du GNC pour une grande politique du tourisme, prônant une relance de l’investissement dans l’offre, tant en tourisme d’affaires que de loisirs, un nouvel aménagement du territoire en lien avec une évolution du rôle socio-économique des HCR et un renforcement de la promotion internationale de la destination France. On pourrait aussi, pour un bon apprentissage accéléré de la ministre, ajouter l’étude d’Eurogroup Consulting sur l’avenir de la restauration commerciale en France, qui évalue en particulier l’impact des différents scénarios de TVA qui se profilent, avec le risque majeur d’un retour de l’inflation et d’une cascade de faillites dans la restauration traditionnelle si le taux de 19,6 était rétabli.
Arbitrer dans l’héritage Sarkozy
Le troisième axe d’action sera sans doute le plus délicat pour madame Pinel : revenir sur les grandes décisions du quinquennat Sarkozy. Maintenir la fête de la Gastronomie, évènement encore modeste mais consensuel, ne devrait pas lui poser de difficultés. Les collectivités territoriales, majoritairement aux mains des socialistes, joueraient d’ailleurs un rôle utile pour un développement populaire de cette fête. Dresser par ailleurs un bilan de la loi Novelli sur la modernisation des services touristiques s’imposera. En regardant mesure par mesure, celle qu’il convient d’abroger, de conserver ou de remanier. Le classement hôtelier, par exemple, restera-t-il volontaire ou deviendra-t-il obligatoire ? Enfin, bien sûr, arrêter ou maintenir la TVA à 7 %.
Sur cette question, réécoutons les propos du candidat Hollande. C’était en avril au micro de RMC-BFMTV. (…)« 3,5 milliards d’euros, c’est une somme très importante », déclarait-il avant d’enchaîner : »Il y a des restaurateurs qui ont fait un gros effort pour améliorer les conditions de leur personnel, pour améliorer aussi les rémunérations ». « Donc ce que j’ai dit : avant toute décision, nous rencontrerons la profession et si elle nous fait la démonstration qu’il y aura, en plus de ce qui a déjà été fait, répercussion sur les consommateurs, créations d’emplois et amélioration des conditions des personnels, nous garderons à ce moment-là la TVA sur la restauration à 7%« . Et de conclure ainsi : « Si en revanche, il n’y a pas les contreparties qui sont souhaitées, nous en ferons l’évaluation au bout d’un an et, à ce moment-là, la TVA remontera à 19,6 (…) ».
Il appartiendra à Syvia Pinel de mettre en musique l’engagement de François Hollande, qui se résume à ce message essentiel : La TVA à 7 % sera maintenue si la profession s’engage à de nouvelles contreparties. Ce qui signifie en creux, que la TVA à 7 % ne sera pas d’emblée abrogée et que des discussions seront engagées avec les restaurateurs pour définir ces contreparties supplémentaires. Rude discussion en perspective, les restaurateurs estimant en avoir déjà fait assez.
Le raisonnement de François Hollande nous semble manquer de rigueur. Rien de choquant à ce qu’il considère le passage à la TVA à 7 % très coûteux pour le budget de la Nation et d’un faible rendement. Encore faut-il qu’il en apporte la démonstration objective. « Ce que Nicolas Sarkozy a fait, moi Président de la République je vais le défaire », ce parti-pris ne peut pas tenir lieu de politique économique.
Le président Hollande va demander à la Cour des comptes un audit des comptes publics de la France : fort bien. Pourquoi ne pas la saisir aussi de cette question ? En évaluant d’abord l’impact du passage au taux réduit, sans à priori idéologique, le gouvernement légitimera d’autant mieux ses décisions à venir. En fonction des résultats de cet audit indépendant, il déciderait alors soit de revenir au taux de 19,6 %, soit de demander des contreparties nouvelles aux professionnels, soit d’en rester aux engagements qu’ils ont pris dans le cadre du contrat d’avenir signé avec le gouvernement Fillon.
Une fois les élections législatives passées, et dans l’hypothèse ou elle serait réélue (elle abandonnera aussitôt son mandat de député au profit de son suppléant – elle est fort accommodante, finalement, la règle du non cumul des mandats, quand elle autorise toujours à se faire élire pour un mandat qu’on n’exercera pas -,) Sylvia Pinel devra donc rapidement préciser ses intentions, à la fois sur sa méthode de travail et sur son programme. Avant l’été.

Benjamine d’hier et d’aujourd’hui

Membre du parti radical de gauche (PRG), Sylvia Pinel, 34 ans, fut élue députée de la deuxième circonscription du Tarn-et-Garonne en 2007 et conseillère régionale de Midi-Pyrénées en 2010. Elle fut chef de cabinet du président du conseil général de Tarn-et-Garonne, Jean-Michel Baylet, président du PRG.
Présidente de la fédération du PRG de Tarn-et-Garonne et du groupe PRG au Conseil régional Midi-Pyrénées, Mme Pinel est vice-présidente aux droits des citoyens, à la sécurité et à la justice au sein des instances nationales du PRG. Elle a été membre de l’équipe de campagne de François Hollande pendant la présidentielle.
Fille d’agriculteurs, cette célibataire est titulaire d’un DESS contentieux et arbitrage et d’un DEA de droit fondamental et européen.
Le blog de Sylvia Pinel, avec sa biographie et ses activités professionnelles
Sa fiche de députée sur le site de l’Assemblée nationale
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Texte : Jean-François Vuillerme
Photos : Journal du Dimanche (photo d’ouverture), blog de Sylvia Pinel (photo intérieure)
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