Pour éviter une multiplication des procès, l'assureur propose de verser 300 millions d'euros en indemnisation des pertes de ses restaurateurs clients. Son aide couvrirait 15 % de leur chiffre d'affaires en restauration à table, sur la période 2019 de référence, dans la limite de trois mois. Pour les syndicats patronaux Umih et SNI et deux cabinets d'avocats défendant des collectifs, le compte n'y est pas.
Axa ne perd pas tous ses procès pour exclusion de garantie (lire ci-dessus). Mais il en perd beaucoup. Et de plus en plus. C’est sans doute la vraie raison qui a conduit le leader français à annoncer le 10 juin proposer une solution amiable à ses 15 000 clients restaurateurs. A ce jour, l’assureur a fait face à 1 500 contentieux. Certains très médiatisés. Comme l’affaire Manigold en avril 2020, conclue en juin par une transaction. Elle a eu un effet incitatif très fort dans la profession.
La proposition d’Axa France s’adresse à tous ses clients détenteurs de son « contrat standard.» « Qu’ils aient engagé des procédures judiciaires ou non. Qu’ils soient encore clients ou qu’ils ne le soient plus », a précisé Patrick Cohen, le DG d’Axa France, lors d’une conférence de presse. « Et qu’ils aient déjà bénéficié ou non d’aides solidaires de notre entreprise.»
Qu’entend Axa par contrat standard ? Les contrats d’assurance multirisque professionnelle et multirisque PME. Multirisque donc de l’entreprise, comprenant l’extension de garantie des pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative.
La compagnie propose de couvrir l’équivalent de 15 % du chiffre d’affaires 2019 de l’activité restauration sur place (hors VAE et Click & Collect), sur la période des mesures administratives d’interdiction d’accueil du public. Soit à partir du 14 mars, pour le premier confinement. Et du 29 octobre pour le suivant. Dans la limite de trois mois pour les deux confinements. Patrick Cohen l’affirme : « Pour vous donner un ordre de grandeur, ce montant équivaut en moyenne à 50% du manque à gagner des restaurateurs sur cette période.»
Pour les établissements dont le CA 2019 est supérieur à 2 millions d’euros, le calcul ne prévoit pas un pourcentage du CA, précise Axa dans un communiqué. Il partira des pertes nettes constatées « pour tenir compte de la structure plus complexe de leurs comptes d’exploitation.»
Les réactions patronales et des avocats jugent l’offre d’Axa insuffisante.
Pour l’Umih, par la voix d’Alain Grégoire, président de l’Umih Auvergne Rhône-Alpes, « le compte n’y est pas, loin s’en faut, nos actions vont perdurer sur notre plate-forme. On ira jusqu’au bout dans les contentieux sur les huit polices d’assurances fléchées. 15 %, ça n’est pas suffisant pour couvrir les pertes d’exploitation, qui s’élèvent à 60 ou 70 %. Et puis, quid des hôtels et des discothèques ? »
Tonalité similaire du côté du SNI, Syndicat des Indépendants et des TPE (non représentatif dans les HCR), par la voix de son président Marc Sanchez. «(...) Nous attendons de connaitre précisément le mode de répartition et le calendrier de versement de cette transaction. Il n’est pas certain que les restaurateurs concernés n’aient pas tout intérêt, au vu des dettes accumulées qui pour beaucoup dépassent les 20 000 euros, de porter la défense de leurs intérêts en justice . »
Du côté du collectif RestoEnsemble et du cabinet d’avocats Vey & Associés qui le représente, on se déclare prêt à étudier les propositions faites par Axa, En veillant à ce qu’elles reflètent la réalité du préjudice subi par les clients. « En tout état de cause, à ce stade, nous continuons les actions déjà lancées, contre AXA et d’autres compagnies d’assurance. » Le collectif fait état de 180 dossiers visant 19 assureurs. Avec 25 jugements favorables en première instance.
Plus de 90 % des décisions seraient favorables aux restaurateurs, mais Axa fait systématiquement appel
Enfin du côté du cabinet Ginkgo, le ton se veut plus cordial sur la forme mais tout aussi ferme sur le fonds. « Il s’agit d’un véritable geste d’apaisement, et nous sommes désolés d’avoir eu à passer par la case judiciaire pour l’obtenir, assure maître Guillaume Aksil. il s’agit maintenant de faire des propositions raisonnables aux restaurateurs et de ne pas jouer avec leurs nerfs. En effet, les sommes annoncées par AXA correspondraient à 20 000 € par dossier. Or cette somme moyenne est environ trois fois inférieure aux montants provisionnels accordés actuellement par les tribunaux… »
Ginkgo traite actuellement 400 dossiers de ce type. 58 ont fait l’objet d’une première décision, seuls trois étaient défavorables aux restaurateurs. Sachant toutefois qu’Axa fait systématiquement appel.
Dernières décisions, contraires, des Cours d’appel
Depuis début 2021, les cours d’appel ont pris le relais des tribunaux de commerce. Le dernier arrêt, en date du 7 juin, vient de la Cour de Bordeaux. Favorable à Axa France IARD, elle confirme le jugement du 12 octobre rendu par le Tribunal de commerce.
Comme le précise le média spécialisé l’Argus de l’Assurance, la Cour a considéré que « la clause d’exclusion contractuelle trouve application et justifie le rejet des déclarations de sinistre par la société Axa France ». Elle a également relevé que « La société Axa France peut, enfin, opposer sans être utilement démentie que la commune intention des parties, lors de la souscription du contrat, n’était pas de couvrir le risque d’une fermeture généralisée à l’ensemble du territoire mais de couvrir les aléas inhérents à l’exploitation d’un restaurant normalement exposé à des risques biologiques».
Quelques jours auparavant, le 2 juin, la Cour d’appel de Montpellier a statué en faveur d’une mutuelle. Elle a débouté les demandes restaurant-traiteur face à son assureur Mudetaf. La cour d’appel a confirmé le jugement déféré « en ce qu’il a dit que les conditions d’application de la garantie pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative sont effectivement réunies ».
Mais elle n’a pas suivi le tribunal judiciaire de Carcassonne en considérant que la clause d’exclusion qui « mentionne les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national » est « formelle et limitée et ne vide pas la garantie de sa substance ». (source des extraits du jugement: Argus de l’Assurance)
En février et mai dernier, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait donné cette fois raison à des restaurateurs. Et AXA avait décidé d’aller en cassation.
Le Crédit Mutuel et le groupe Covéa avaient déjà débloqué près de 450 millions d’euros
Axa n’est pas la seule compagnie confrontée, rapporte le quotidien Les Echos. En avril 2020, le Crédit Mutuel avait provisionné 200 millions d’euros de « prime » pour ses clients impactés. Elle qui estimait cependant que son contrat ne couvrait pas les pertes pour fermetures administratives pendémiques.
Chez Covéa (MAAF, MMA et GMF), ses contrats ne contenaient pas de clause d’exclusion applicables aux fermetures administratives. Le groupe a donc du couvrir une partie des pertes d’exploitations de milliers de ses clients. Le groupe leur a versé 235 millions d’euros à ce jour.
Le Crédit Mutuel, lui, a estimé que son contrat ne couvrait pas les fermetures pour pandémies. Il a malgré tout proposé dès avril 2020 de mobiliser 200 millions d’euros pour verser une prime aux clients touchés