(Ce n’est que notre analyse mais on la partage !)
Promesses non tenues !
A défaut d’avoir recruté beaucoup de nouveaux clients pour les hôtels indépendants, la place de marché d’AccorHotels avait attiré en l’espace de 18 mois un nombre significatif d’hôtels indépendants à travers le monde, dont une forte majorité en Europe et en France. Même si son objectif de compter 10 000 établissements à l’horizon 2018, en incluant les siens, était encore loin d’être atteint.
Les chiffres officiels n’étant pas disponibles (hormis celui de 2200 indépendants en global Monde), nous nous sommes basés sur la carte géographique de la marketplace pour effectuer le 9 novembre un recensement, sans doute non exhaustif. A l’échelle de la planète, 6481 hôtels et résidences hôtelières apparaissaient sur la carte lors de cette consultation, dont 4761 sous enseignes AccorHotels (signalées par un point bleu) et 1720 indépendantes (signalées par un point noir). En France, la répartition visible était de 2885 hôtels Accor et 1212 indépendants. A Paris et sur sa proche banlieue, apparaissaient 430 hôtels, dont 206 hôtels Accor et 224 indépendants.
Le nombre total d’indépendants peut donc sembler faible au premier abord. Mais il faut garder à l’esprit que les candidats étaient plus nombreux et les recrutements loin d’être terminés… AccorHotels s’est efforcé de sélectionner les meilleurs hôtels (en se basant notamment sur les avis clients) dans les destinations et les gammes qu’il priorisait, « 300 villes clefs », en 3 et 4 étoiles principalement.
1212 indépendants en France, c’est à peine 8,5 % du parc français. Mais si on les rapporte aux quelque 5500 établissements classés de 3 à 5 étoiles, le pourcentage des sélectionnés avoisine les 20 %. En outre, sur la destination leader, Paris, sa marketplace compte davantage d’indépendants que de marques internes. Les adresses des groupes indépendants y apparaissent : Timotel, Paris Inn, Maranatha, Astotel ou encore Elegancia.
L’échec de l’expérience de marketplace ouverte ne tient donc pas à un recrutement insuffisant mais à au moins deux promesses qui n’ont pas été tenues : « Accédez à une large base de clients et augmentez facilement votre chiffre d’affaires (…) », promettait le groupe sur sa page de recrutement d’indépendants.
Ces quelque 2 200 indépendants avaient été probablement séduits par l’ouverture d’un canal de distribution supplémentaire, par des taux de commissions (entre 12 et 19 % ) inférieurs à ceux des OTA, par des contrats souples, n’imposant ni clause de parité tarifaire ni clause d’exclusivité. Séduits aussi par les 130 millions de visiteurs annuels du portail mondial d’AccorHotels, par les 32 millions de porteurs de carte de fidélité, par les services digitaux du numéro 1 européen et 6 ème mondial, renforcés encore récemment par Fastbooking et Availpro.
Oui, mais voilà, la supposée puissance du groupe et sa supposée expertise digitale n’auront tout simplement pas apporté à ces hôtels de clients supplémentaires, ou du moins significativement. Pour au moins deux raisons, nous semble-t-il.
Ses investissements financiers en matière de publicité, en premier lieu en ligne (achats de mots clefs, référencements sponsorisés, pay per click, etc) sont restés limités en comparaison de ceux consentis par les OTA’S. Or la pub en ligne est le principal vecteur de visibilité et de conquête de parts de marché en distribution sur le web.
Priceline, la maison mère de Booking.com, a ainsi dépensé pas moins de 3,4 milliards de dollars en 2016 (vs 2,8 milliards en 2015), auxquels s’ajoute 295 millions de dollars hors ligne. Booking a donc dépensé en publicité l’équivalent de 55 % du chiffre d’affaires annuel 2016 d’AccorHotels.
L’autre raison tient aux comportements clients et à leur perception du marché. Rien n’indique qu’AccorHotels ait conquis de nouveaux clients d’affaires et de loisirs en agrégeant sur sa place de marché des hôtels indépendants. Rien n’indique que les 30 millions de membres du club AccorHotels, qui génèrent pourtant aujourd’hui 30 % de son chiffre d’affaires, se soient mis à acheter en quantité des nuitées chez les indépendants partenaires de son programme de fidélité. Rien n’indique qu’AccorHotels ait réussi à transférer sur sa plate-forme des clients habitués à faire leur marché chez Booking.com, qui offre la meilleure couverture du marché en France, chez Hotels.com ou chez Tripadvisor.
Changer la perception d’une marque et de ses produits dans l’esprit d’un consommateur nécessite du temps et de l’argent. A ses yeux, Accor reste un groupe hôtelier, non un distributeur. Le consommateur habitué à faire son marché hôtelier chez un OTA’s ou directement sur le site d’un hôtel, après consultation des avis sur TripAdvisor, ne va pas changer ses habitudes du jour au lendemain. A fortiori s’il ne perçoit pas les avantages qu’il obtiendrait en changeant d’intermédiaire, à supposer que ces avantages existent.
Reste maintenant à relativiser l’échec de cette initiative. AccorHotels négocie un tournant autrement plus stratégique avec la filialisation de ses activités d’investissement immobilier (AccorInvest). Il a par ailleurs deux autres gros dossiers sur le feux : le développement à coup de rachats de plateformes de son offre de location de résidences privées haut de gamme et le développement de services aux voyageurs.
Scrutée en permanence par le marché boursier, l’action AccorHotels n’a d’ailleurs pas pâti de cette déconvenue digitale. Elle a en revanche été secouée le 6 novembre (baisse de 1,5 % de son cours) par l’arrestation en Arabie Saoudite de son troisième actionnaire, le prince Alwalid ben Talal, détenteur de 5,71% du capital.
L’abandon de cette place de marché ouverte restera une péripétie dans la vie d’AccorHotels. Son pragmatique patron a eu raison d’y mettre un terme rapidement. A notre humble avis, le potentiel de business de cette initiative, un peu trop claironnée, n’était pas démontré. Par ailleurs, elle créait une confusion des genres. Hébergeur, distributeur, comparateur, agrégateur… à chacun son coeur de métier. Même si, bien entendu, AccorHotels doit impérativement continuer de renforcer sa distribution on line et off line. Mais pour cela, il n’était pas nécessaire qu’il distribue aussi ses concurrents.