Sylvia Pinel a arrêté son choix sur la valorisation officielle de l’appellation « fait maison » pour désigner les plats cuisinés dans les restaurants à partir de produits bruts. La ministre du Tourisme a rejeté les deux propositions patronales antagonistes visant à protéger l’appellation restaurant et à créer un statut d’artisan restaurateur.
place dans les restaurants français pour valoriser les plats cuisinés sur
place à partir de produits bruts. Et l’accès au titre de maître-restaurateur
sera simplifié, a annoncé la ministre du Tourisme Sylvia Pinel, à l’issue de la réunion conclusive du comité stratégique de la filière Restauration.
Ces mesures vont faire l’objet d’un amendement gouvernemental à la loi
consommation. Pour « mieux informer les consommateurs et promouvoir la qualité dans la
restauration », les plats cuisinés sur place à partir de produits bruts
pourront être identifiés par le biais d’un logo, qui reste à créer.
Pour « valoriser les produits fabriqués en France », les restaurateurs
pourront identifier sur les menus les produits issus d’une production
française, en utilisant « les visuels de la marque France » — qui restent à
créer eux aussi.
Par ailleurs, l’accès au label d’Etat de « maître-restaurateur », lancé en
2008, va être « modernisé et simplifié ». Ce label distinguait jusque-là les
restaurants qui cuisinaient maison à partir de produits bruts de qualité et
avec une main d’oeuvre professionnelle. Il « sera ouvert aux salariés des
restaurants pour permettre à un plus grand nombre d’établissements d’en
bénéficier et de valoriser les métiers, en cuisine ou en salle », l’idée étant
de le rendre « plus accessible aux professionnels et plus lisible pour le
consommateur ».
Fin 2011, soit trois ans et demi après
sa création, le titre de « maître restaurateur » restait inconnu de 9 Français
sur 10, selon une étude BVA. « Une nouvelle identité visuelle » sera définie
pour ce titre, avec « une nouvelle plaque et un nouveau logo », précise le
ministère.
Sur un autre volet, une convention-cadre devrait voir le jour « à la
rentrée » pour lutter contre le travail illégal, alors que le secteur des
hôtels-cafés-restaurants est « l’un des plus touchés » par cette question,
souligne-t-on au ministère.
L’accent sera aussi mis sur la formation des tuteurs et des maîtres
d’apprentissage dans le secteur, alors que « le fort taux d’abandon des
apprentis » est l’une des « principales difficultés du secteur ».
Sylvia Pinel et des membres de son cabinet lors de l’installation du comité stratégique de la filière restauration en mars dernier
10 PRIORITÉS EN 3 AXES POUR SYLVIA PINEL
Axe 1 – Mieux informer les consommateurs et promouvoir la qualité dans la restauration
1. Promouvoir le «fait maison» dans les restaurants
«Afin de garantir la lisibilité de l’offre de restauration, un dispositif sera mis en place dans le projet de loi pour la consommation pour valoriser les plats «faits maison», c’est-à-dire cuisinés entièrement sur place à partir de produits bruts. Ces plats seront mieux mis en valeur par le biais d’un logo, sur les cartes, pour renforcer l’information des consommateurs.»
2. Valoriser les produits fabriqués en France dans la restauration
«
Les restaurateurs valoriseront les produits issus d’une production française sur les menus et leurs outils de communication. Ils pourront utiliser les visuels de la marque France dès sa création.»
3. Simplifier le titre de «maître restaurateur»
«Les restaurateurs qui réalisent une cuisine intégralement «faite maison » dans leur établissement pourront solliciter le titre de maître restaurateur. Ce label d’État sera défini dans la loi et attribué sur la base d’un cahier des charges modernisé et simplifié, afin de le rendre plus accessible aux professionnels et plus lisible pour le consommateur.
«De plus, le titre sera ouvert aux salariés des restaurants pour permettre à un plus grand nombre d’établissements d’en bénéficier et de valoriser les métiers, en cuisine ou en salle».
4. Moderniser l’image des «maîtres restaurateurs»
«L’État définira une nouvelle identité visuelle pour le titre de «maître restaurateur», avec une nouvelle plaque et un nouveau logo.»
5. Dématérialiser les titres-restaurants en lien avec les professionnels
«En parallèle du comité de filière, les titres-restaurants seront ouverts à la dématérialisation. Le travail avec les professionnels se poursuit pour parvenir à cet objectif.»
Axe 2 – Améliorer les conditions de travail et favoriser le dialogue social
6. Établir une convention cadre entre l’État et les organisations professionnelles pour lutter contre le travail illégal
«Dans la continuité de l’accord de branche de septembre 2012 relatif à la lutte contre le travail illégal et du plan de lutte contre le travail illégal annoncé par le Premier ministre en novembre 2012, une convention-cadre visant à lutter contre le travail illégal sera établie d’ici la fin de l’année 2013 entre l’État et les partenaires sociaux. Elle aura pour objectif de développer une politique de prévention avec l’ensemble des acteurs, d’intensifier et d’améliorer les contrôles dans le secteur.
»
7. Accompagner les partenaires sociaux pour élaborer le rapport de branche
«Le secteur des hôtels-cafés-restaurants comprend une grande majorité de très petites entreprises, ce qui a rendu difficile la constitution d’un rapport de branche. Cet outil est indispensable pour entamer un véritable chantier de valorisation des métiers et d’amélioration des conditions de travail. Les services de l’État fourniront à la branche un soutien statistique et de coordination afin de lui permette de remplir cette obligation légale.»
Axe 3 – Renforcer les formations et valoriser les métiers de la restauration
8. Favoriser l’emploi dans les métiers en tension
«
Une mission, a été confiée à François Nogué, le Président de Pôle emploi pour identifier les potentiels d’emploi dans la filière touristique. Ses conclusions, qui seront rendues cet été, seront déclinées pour la restauration afin d’améliorer l’emploi, la formation et l’attractivité des métiers dans ce secteur.»
9. Assurer la mise en place des emplois d’avenir
«
Conformément à l’annonce du président de la République, les emplois d’avenir ont été ouverts au secteur du tourisme. Des conventions-cadres nationales accompagneront leur déploiement sur le territoire.»
10. Développer l’apprentissage
«
Le permis de former sera développé pour répondre au fort taux d’abandon des apprentis, l’une des principales difficultés du secteur. Ce permis renforce la formation des tuteurs et des maîtres d’apprentissage afin de créer un large réseau de formateurs de qualité, pour retenir et valoriser les savoir-faire des jeunes apprentis.»
Les premières réactions
Critiquant ces mesures, le député UMP Daniel Fasquelle a indiqué à l’AFP
qu’il déposerait bien, comme annoncé, un amendement au projet de loi
consommation pour réserver l’appellation « restaurant » aux seuls lieux où le
repas est cuisiné sur place avec des produits bruts.
« C’est le seul moyen de soutenir les restaurants et l’emploi face à la
cuisine industrielle qui est en train d’envahir nos restaurants », estime-t-il. Et « c’est une affaire d’information aux consommateurs, qui concerne (le ministre de la Consommation) Benoît Hamon. Faire monter Sylvia Pinel au créneau, c’est un moyen d’enterrer le sujet », tempête-t-il.
Le Synhorcat, syndicat d’hôteliers et de restaurateurs, qui plaidait aussi
pour une protection de l’appellation restaurant, a estimé que les mesures
annoncées par la ministre n’étaient qu' »un premier pas qui nous laisse un peu
sur notre faim » et dénoncé le risque d’une « mesurette ». Il attend que la
définition du fait maison et le logo d’Etat soient « effectivement inscrits
dans la loi ».
L’Umih, principale organisation du secteur, a elle salué la création du
« fait maison », y voyant « une avancée pour le consommateur ». Mais Mme Pinel ne
va « vraiment pas assez loin » sur le statut des restaurateurs, a dit son
président Roland Héguy à l’AFP.
Opposée à une restriction de l’appellation
« restaurant », l’Umih prônait la création d’un statut « d’artisan-restaurateur »
distinguant les lieux « où il y a un cuisinier »: « le potentiel serait de 20 000
artisans-restaurateurs, alors qu’il y a 150 000 points de vente où on se
restaure en France », a argué M. Héguy, en promettant que l’Umih poursuivra son
« lobbying ».
Ce n’est que notre analyse (mais on la partage !)
Anciennes ou nouvelles, des mesures qui s’imposent
Le plan Pinel ne laissera sur sa faim que ceux qui en espéraient des annonces fortes. Le candidat Hollande n’avait avancé aucun projet d’ampleur pour le tourisme en général et pour la restauration en particulier. Respectueux des non promesses du président, le gouvernement ne s’est donc pas montré plus royaliste que son monarque.
De ses dix propositions, seule une (l’instauration d’un rapport de branche), voire deux (le marquage France sur les cartes), à la limite trois d’entre elles (la dématérialisation des titres restaurant) peuvent être qualifiées de neuves. Celle du fait maison, la plus commentée par les médias, n’en fait d’ailleurs pas partie.
L’idée de mentionner sur les cartes une information claire « permettant (aux consommateurs) de savoir si les plats ont été confectionnés ou non dans l’établissement et basés sur des produits frais »avait été défendue dès 2011, sous la précédente mandature, par un député UMP, Fernand Siré. Idée torpillée par des sénateurs socialistes et écologiques.
Même antériorité également pour la modernisation et la simplification du titre de maître restaurateur, réclamée depuis 2011 par les professionnels.
A défaut de concocter des mesures décoiffantes, la ministre et son cabinet ont fait preuve d’écoute et de réalisme en reprenant certaines propositions syndicales et associatives, en cours d’application ou défendues de longue date, solides et étayées par des bilans.
C’est aussi avec la même prudence que Sylvia Pinel n’a pas retenu les deux propositions antagonistes dévoilées sur le tard par les organisations professionnelles de la restauration. Propositions qu’il faudra bien réexaminer tôt ou tard, avec des arguments plus étayés et un tour de table plus large, associant les consommateurs, curieusement absents (ou exclus ?) du débat.
Le projet de protection de l’appellation restaurant souffrait en effet d’au moins deux handicaps. Aucune étude d’impact (le sondage téléphonique commandé par le Synhorcat ne pouvant en tenir lieu) n’en évaluait sérieusement les effets, désirables et indésirables, et forcément importants. Par ailleurs, cette appellation réservée, « punitive » jugeaient certains, divisait les organisations professionnelles de la restauration.
Quant à celui de bâtir un statut d’artisan restaurateur, les pouvoirs publics manquaient là aussi de recul pour en vérifier les supposées vertus. Et le risque était bien réel de créer la confusion avec le statut de maître restaurateur et de déstabiliser un titre soutenu par les professionnels mais notoirement inconnu du grand public.
A défaut d’être fortes et neuves (exceptions faites des trois citées), les dix priorités de madame Pinel ont le mérite d’aller à l’essentiel et de « remettre vingt fois sur le métier l’ouvrage ». Relancer l’apprentissage qui n’a toujours pas décollé. Réduire le travail illégal qui n’a toujours pas été endigué. Augmenter le nombre de postes pourvus sur les métiers en tension. Etc.
On souhaite, bien entendu, à la ministre de réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué, dans un contexte qui, pourtant, leur était plus favorable (marché porteur et TVA à 7 %)… Cette réussite dépendra de l’efficience des contrôles de l’Etat, du volontarisme des entreprises et de leurs représentants, et de la situation économique de la branche.
S’agissant de l’amélioration des conditions de travail, il faut saluer l’élaboration d’un rapport de branche. Il semblait anormal qu’une branche d’activité employant plus de 600 000 salariés ne dispose pas de données sociales consolidées, et cela en toute illégalité.
En relançant des objectifs déjà énoncés mais jamais atteints jusque là, en instaurant l’appellation « fait maison », en soi déjà une petite révolution, le gouvernement dispose désormais d’un plan d’action pour la mandature.
Il lui reste tout de même à franchir sans encombre l’étape législative (bouclée en principe au printemps 2014)
et réglementaire (le décret d’application devrait être prêt pour l’été 2014). Avec l’obligation pur lui de monter un dispositif opérationnel pour mettre en oeuvre le label « fait maison » dans les meilleures conditions de transparence et de vérité sur le périmètre des « produits produits ». Faute de quoi, ce sera un gadget de plus, sans crédibilité et visibilité aux yeux du consommateur. Un comble.
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Texte et édito : Jean-François Vuillerme (avec AFP pour la présentation des mesures)
Photo © Goran Bogicevic – Fotolia.com
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