La condamnation d'Axa à indemniser un restaurant de Stéphane Manigold marque un tournant dans le conflit. Et d'autres actions se préparent. Mais l'assureur fait appel pour obtenir un jugement sur le fond. Huit compagnies avaient auparavant décidé d'indemniser des milliers de restaurateurs ou de leur verser une prime.
Traité en procédure de référé d’urgence, le jugement était très attendu. Stéphane Manigold l’a annoncé lui-même le 22 mai. En organisant une conférence de presse devant son restaurant Le Bistrot d’à côté Flaubert. Le plaignant avait assigné Axa à la mi-avril devant le Tribunal de commerce de Paris. Au motif que l’assureur refusait d’indemniser les pertes d’exploitation d’une de ses quatre affaires parisiennes.
Le Tribunal a donné en grande partie raison à monsieur Manigold. Il a ordonné une indemnisation de son Bistrot au titre des pertes d’exploitation sans dommages subies. Calculée sur la marge brute, l’indemnité se chiffrerait, selon le restaurateur, à « environ 70 000 € pour un restaurant », soit l’équivalent de deux mois et demi de pertes d’exploitation. « Et, par extension, à plus d’1 million d’euros sur la période pour l’ensemble de mes établissements ».
Si l’on s’en tient à l’ordonnance du référé, Axa devra verser « à titre de provision 45 000 € à la SAS Maison Rostang ». Ainsi que « la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ». Le tribunal charge par ailleurs un expert judiciaire de déterminer précisément le montant de l’indemnisation. La décision du tribunal est d’exécution provisoire.
L’assureur a indiqué faire appel de la décision. « Tout simplement parce qu’elle a été prise dans l’urgence, sans débat sur le fond », a annoncé à l’AFP Eric Le Maire, directeur de la communication de la branche française d’Axa. Il a relevé que la décision en référé n’était par nature que provisoire.
Les deux arguments d’Axa déboutés
Dans un communiqué, Axa précisait que quelques centaines de professionnels de la restauration, tout comme Manigold, avait souscrit un contrat spécifique auprès d’un cabinet de courtage (NDLR : Satec). Contrat pour lequel une « divergence d’interprétation subsiste donc ». Axa semble vouloir la résoudre avec ces clients «par le dialogue chaque fois que la volonté des deux parties le permet». Une négociation est donc en cours. Négociation que Stéphane Manigold avait refusée.
Selon notre confrère spécialisé, l’Argus de l’Assurance, « l’ordonnance semble donner tort aux arguments avancés par Axa. Le tribunal rejette le débat sur le caractère assurable ou non d’une pandémie. « Ce débat pour intéressant qu’il puisse être et sur lequel les avis divergent ne nous concerne pas », indique l’ordonnance. Et Axa « ne s’appuie sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie. Il incombait donc à Axa d’exclure conventionnellement ce risque. Or, ce risque pandémique n’est pas exclu du contrat signé entre les deux parties. »
Sur la fermeture administrative, les magistrats contestent au moins deux arguments avancés par Axa France. « Axa France IARD prétend que l’application de la clause fermeture administrative doit avoir pour fait générateur la réalisation préalable d’un événement garanti au titre de la perte d’exploitation. Cette affirmation n’est étayée par aucune référence contractuelle. (…) Ainsi cette allégation fantaisiste sera écartée ». Ni les conditions particulières ni l’intercalaire du courtier Satec ne le mentionnent explicitement, selon le tribunal.
Le second motif contesté tient à l’autorité ayant décidé la fermeture : « Que ce soit le préfet ou le ministre, en droit français, il s’agit dans les deux cas d’une décision administrative et aucune exclusion contractuelle ne vise le ministre. Cette contestation sera donc également écartée comme non sérieuse », peut-on lire dans l’ordonnance.
Jurisprudence et action collective ?
Cette décision peut-elle faire jurisprudence dans les HCR ? A grande échelle probablement pas. Compte tenu de l’hétérogénéité des contrats risques professionnels. Et de l’absence fréquente de clauses prévoyant de dédommager des pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative. Et aussi longtemps que le juge n’aura pas rendu une décision sur le fonds.
En revanche, elle pourrait faire jurisprudence dans le cas des entreprises ayant souscrit le contrat du courtier Satec. Du même type que celui de Stéphane Manigold. Axa en a perçu le risque, selon ce dernier. « Il n’aurait pas sorti l’artillerie lourde pour un tel contrat s’il ne se sentait pas menacé, affirmait-il le 22 mai. Axa a appelé tous les restaurateurs en proposant 20% de leur chiffre d’affaires hors taxe HT plafonné à 4 mois avec l’impossibilité d’exercer un recours. »
D’autres actions en justice sont-elles en préparation ? La rumeur fait état d’un projet d’action collective sans aucun fait à ce jour ne vienne le confirmer. Sur le plan politique, l’Umih va à nouveau interpeller le gouvernement pour qu’il saisisse le Parlement en urgence. La confédération, par ailleurs, avait fait savoir à la mi mai qu’elle préparait une offre d’assurance profilée pour les entreprises du secteur CHRD.
Enfin, les cuisiniers eux-mêmes continuent de monter à créneau, à coup de pétitions. Celle de Stéphane Jego (L’ami Jean à Paris 7) sur change.org a recueilli près de 150 000 signatures électroniques. Son objectif, « pousser le gouvernement à décréter l’état de catastrophe naturelle sanitaire afin que les assurances nous indemnisent.
Vendredi 22 mai encore, une soixantaine de chefs, dont plusieurs étoilés comme Gérald Passédat, Marc Veyrat, Michel Saran et Gilles Goujon, demandait que les assurances prennent « impérativement en charge la perte d’exploitation pour tous à hauteur de 15 à 25% », et lancent « un fonds de garantie catastrophe sanitaire », dans un courrier transmis à l’AFP.
Les quelques assureurs qui vont verser une indemnité ou une prime
Quatre compagnies indemnisent directement au titre des pertes d’exploitation entraînées par une fermeture administrative.
Dernière en date à bouger les lignes, Generali France. Le groupe franco-italien va indemniser plusieurs centaines de clients hôteliers restaurateurs souscripteurs d’une garantie perte d’exploitation couvrant les fermetures administratives. Des contrats commercialisés par Val’Assurances, une agence générale Generali installée à Valence.
Auparavant, BPCE IARD avait annoncé l’indemnisation de 4 000 de ses 6000 clients restaurateurs éligibles également à une garantie en cas de fermeture administrative liée à une épidémie. Leur indemnisation coûterait plus de 100 millions d’euros.
Quant à laMaaf (Covea), elle devrait verser 190 millions d’euros à 6 000 clients hôteliers et restaurateurs ayant souscrit un contrat perte d’exploitation.
Enfin, Axa va indemniser un peu plus de 200 contrats individuels et spécifiques (le contrat Manigold n’est pas concerné), de secteurs d’activité variés, qui incluent une garantie pleinement applicable à la situation du Covid-19. La compagnie va par ailleurs rembourser deux mois de cotisations à ses 150 0000 clients professionnels ayant cessé leurs activités. Une mesure de 200 millions d’euros. Elle va également geler jusqu’à fin 2020 les cotisations des 300 000 professionnels dont les contrats arrivent à terme.
Des primes de relance ou de crise qui reviennent à des indemnisations
Les assurances du Crédit Mutuel et de CIC Assurances vont distribuer début mai une prime de relance mutualiste forfaitaire à 30 000 clients. Des clients assurés au titre de l’assurance multirisque professionnelle perte d’exploitation. Assurance qui ne couvre pas un événement exceptionnel comme le Covid-19. Cette prime s’étagerait entre 1 500 et 20 000 euros par assuré, pour un montant moyen de 7 000 euros. L’enveloppe globale atteindrait 200 millions d’euros.
Crédit Agricole Assurances a annoncé un dispositif assez similaire. La bancassurance mobilisera également près de 200 millions d’euros pour ses 30 000 souscripteurs d’une assurance multirisque professionnelle avec perte d’exploitation.
MMA accorde une prime de crise sanitaire aux assurés professionnels, allant de 1 500 euros à 10 000 euros.