L'Institut emploie désormais une méthodologie internationale harmonisée, qui distingue la création de richesses associée au tourisme de la consommation touristique. Elle mesure la valeur ajoutée par le tourisme dans chacun de ses secteurs d’activité, en intégrant les dépenses des seuls touristes et en soustrayant consommations intermédiaires et importations. Le PIB direct du tourisme de la France pesait ainsi 99,4 milliards d'euros en 2019 et dégringolait à 75,7 milliards en 2021 en raison de la crise, pour ne plus représenter que 3 % de la richesse nationale.
Ce schéma permet de visualiser comment la comptabilité nationale différencie
consommation touristique, valeur ajoutée et PIB du tourisme
Champ : France entière
Source : Insee, compte satellite du tourisme, base 2014
Le schéma ci-dessus porte sur les estimations de l’année 2021. Mais son mode de calcul vaut pour tous les exercices. La Comptabilité nationale mesure d’abord « la consommation touristique intérieure ». Autrement dit, les dépenses des touristes en France, qu’ils soient résidents ou non-résidents. Pour cela, elle soustrait des dépenses des ménages (regroupées dans « La consommation finale totale des ménages ») celles qui n’ont pas été effectuées par les touristes. Chaque activité dite touristique présente ainsi un « taux de touristicité » révisé chaque année.
L’Insee, par exemple, considère que 100 % des dépenses dans les hôtels et les campings constituent des dépenses de tourisme. Mais seulement 12 % en relèvent pour se loger dans le parc résidentiel. Tous types d’hébergement confondus (collectifs touristiques ou résidences secondaires), 16,2 % des dépenses d’hébergement, étaient, en 2021, imputables au tourisme, en incluant la location et l’exploitation de biens immobiliers. Même analyse pour les dépenses des restaurants et les cafés. En 2019, 24 % de celles-ci provenaient de touristes. Un taux qui est descendu à 20 % en 2021.
La richesse que produit directement l’hôtel
La phase suivante consiste à déterminer la « valeur ajoutée brute directe du tourisme ». Pour cela, l’Insee isole les consommations intermédiaires. L’Institut prend le cas d’une nuitée hôtelière avec petit déjeuner. Le prix final acquitté par le touriste sert notamment à payer les aliments du repas matinal, mais aussi le ménage, l’énergie, le chauffage… Autant de consommations dites intermédiaires qui ne créent pas directement de richesses. De ce fait, la Comptabilité nationale les retire du montant de la dépense des touristes de manière à mesurer la valeur ajoutée « directement produite par l’hôtel. »
Dans la même approche, la Comptabilité déduit aussi les importations de biens et de services. Une illustration qui parlera : l’objet souvenir made in China acheté en France par un visiteur étranger. Ne comptera dans la valeur ajoutée du tourisme que la différence entre le prix de vente du produit et son prix d’importation.
De la valeur ajoutée brut au PIB direct
Le dernier étage du schéma montre la constitution du « PIB direct du tourisme » (Produit Intérieur Brut). Il correspond à la somme des valeurs ajoutées directement liées aux dépenses des touristes dans chaque secteur d’activité relevant du tourisme (neuf d’entre eux, caractéristiques du tourisme, ayant un taux significatif de touristicité). De ces dépenses ont donc été retirées les consommations intermédiaires et les importations. En revanche, le PIB intègre les impôts nets sur les produits et les importations. La Comptabilité nationale déduit toutefois les subventions.
Bilan pour 2021 ? L’Insee estime là consommation touristique intérieure à 140 milliards d’euros. Après soustraction des consommations intermédiaires et importations, la valeur ajoutée brute directe du tourisme s’établit à 67 milliards d’euros. Dont 30 milliards générés par l’hébergement. Et 6,7 milliards apportés par les restaurants et cafés.
Quant au PIB direct du tourisme, il s’établit à 75,7 milliards d’euros. La différence nette de 8,7 milliards d’euros par rapport à la valeur ajoutée brute provient des impôts.
Au final, en 2021, le PIB direct du tourisme représentait 3 % du PIB total de la France (2 523 milliards d’euros). A titre de comparaison, en 2019, avant le déclenchement de la crise, il s’élevait à 88,1 milliards et représentait 4,1 % du PIB français.
La France dans la moyenne européenne inférieure pour la valeur ajoutée touristique
Cette approche par la valeur ajoutée confirme un écart depuis longtemps relevé, mais qui ne se comble pas. La France peut se féliciter d’accueillir un nombre important de touristes. Mais elle ne pourrait se satisfaire du montant relativement limité de leurs dépenses touristiques.
Ainsi, en 2019, la France restait toujours dans le trio de tête des arrivées touristiques. En revanche, la part de son PIB tourisme dans la valeur ajoutée totale (4,1 %) demeurait également inférieure à la moyenne constatée pour l’ensemble de Union européenne (4,5 %), rappelait l’Insee. Et sur ce plan, elle se situe très loin de la Croatie (11,8 %), du Portugal (8,1 %), de l’Espagne (6,9 %) ou de l’Italie (6,2 %).
Questions à Christine Chambaz, cheffe du département synthèses sectorielles de l’Insee
- Le gouvernement, les institutions, les professionnels de la filière et les médias communiquent généralement sur un taux de PIB tourisme un peu supérieur à 7 % avant la crise sanitaire (7,4 % en 2018) et tombant à 4 % pendant la crise. L’Insee, pour sa part, fait état d’un taux de 4,1 % en 2019, tombant à 3 % en 2021. Comment expliquez-vous la différence ?
« Les 7% sur lesquels se basait habituellement la communication rapportaient la consommation touristique au PIB. Le PIB fournissait alors un étalonnage assez commode. Pour autant, le PIB n’est pas la somme des dépenses mais bien des valeurs ajoutées des différents acteurs de l’économie. Pour passer à la valeur ajoutée, on enlève donc les consommations intermédiaires et les importations. Cela revient en creux à dire que la moitié environ des dépenses ne sont pas assimilables à de la valeur ajoutée mais correspondent à des biens et services nécessaires pour produire les biens et services touristiques..
On peut noter que la direction générale des entreprises, avec une méthode proche, estimait pour 2017 la part de la VA du tourisme à 4,4% du PIB. »
- Si vous aviez continué d’intégrer les consommations intermédiaires et les importations, quels auraient été le volume et le taux du PIB Tourisme en 2019 et 2020-2021 ?
« Dans ce cas, on aurait pas estimé un PIB touristique mais bien une consommation touristique, qu’il vaut mieux rapporter à la consommation totale qu’au PIB. Pour 2019, la consommation touristique est estimée à 181,4 milliards d’euros (4,7% de la consommation totale), correspondant à 88,1 milliards d’euros de VA ; en 2020, c’est 120,2 milliards d’euros de consommation touristique et 62,5 milliards d’euros de VA ; en 2021, respectivement 140 milliards et 67 milliards (voir le document de travail DT 2023-10). »
« La moitié des dépenses ne sont pas assimilables à de la valeur ajoutée »
- Cette nouvelle méthodologie de calcul sera-t-elle pérennisée ? Ou faut-il s’attendre à de nouvelles révisions d’ici la fin de cette décennie ?
« Oui, cette méthode est appelée à devenir pérenne, elle s’inscrit dans le cadre de travaux internationaux et en partage les concepts et méthodes. »
- Avez-vous également employé pour d’autres secteurs que le tourisme, cette nouvelle définition du PIB par la VA et en sortant du périmètre des consos qui ne relèvent pas strictement du secteur ?
«Ce n’est pas une nouvelle définition du PIB, mais une approche du poids du tourisme plus cohérente conceptuellement. L’intérêt de la méthode est de pouvoir prendre en compte des activités qui ne sont pourtant pas entièrement dédiées au tourisme, dans un cadre cohérent avec celui des comptes nationaux.»
- Votre révision méthodologique conduira-t-elle le gouvernement et les institutions à reprendre cette définition stricte du PIB tourisme par sa VA. ? Ou continueront-ils d’utiliser les deux définitions, avec et sans conso intermédiaire et importations ?
« Les deux approches ne sont pas exclusives, l’approche en termes de dépenses peut par exemple présenter un intérêt pour regarder la part des dépenses des résidents ou des non-résidents dans l’ensemble. Mais quand il s’agit de rapporter une grandeur au PIB, l’approche par la valeur ajoutée a l’avantage d’une plus grande cohérence. »
Des taux de « touristicité » très disparates selon les activités
En 2021, 87 % de la Valeur ajoutée du secteur (58,1 milliards d’euros sur 67 milliards au total) se répartissaient entre neuf activités dites « caractéristiques du tourisme ».
Principale activité parmi celles-ci, l’hébergement, avec ses 30 milliards d’euros de valeur ajoutée touristique, représente à lui seul 45 % de la richesse produite par la filière touristique. Pourtant, le poids du tourisme dans sa production est relativement modeste (16,2 % de sa VA totale qui s’élève à 185,2 milliards d’euros…). En comparaison du transport aérien (90%, mais pour seulement 1,8 milliards de VA). Et à fortiori des agences de voyages et services de réservation (100 %, pour 900 millions d’euros de VA).
La même méthode de la VA touristique est appliquée pour les Restaurants et Cafés. Le poids du tourisme dans leur activité représente 20,4 % de leur VA totale brute (32,8 milliards d’euros). Celui-ci, par conséquent, ne pèse que 6,7 milliards d’euros.
On le voit, les activités caractéristiques du tourisme génèrent une valeur ajoutée bien supérieure à celle imputable directement au tourisme. L’Institut évalue leur VA brute totale à 265,2 milliards. Dont 58,1 milliards (21,9 %) attribuables au tourisme. Les trois quarts de la VA brute sont imputables aux dépenses des autres consommateurs, provenant essentiellement de la population totale.
Lecture : l’hébergement a dégagé en 2021 une valeur ajoutée de 30,0 milliards d’euros grâce au tourisme, soit 16,2 % de la valeur ajoutée totale de ce secteur.
Champ : France.
Source : Insee, compte satellite du tourisme, base 2014.
En 2021, la valeur ajoutée générée par le tourisme accusait encore
un retard de 24 % par rapport à 2019
Dans la restauration et des cafés, longtemps mises à l’arrêt, la valeur ajoutée brute directe du tourisme restait en 2021 très en retrait de son niveau d’avant-crise (-40,7 %). Après l’hébergement, ces activités dégageaient pourtant la plus haute valeur ajoutée grâce au tourisme.
Avec 6,7 milliards d’euros, elles ont rétrogradé derrière le regroupement « autres activités » (8,7 milliards), pourtant moins directement en prise avec le tourisme.
Lecture : l’hébergement a dégagé en 2019 une valeur ajoutée brute de 35,9 milliards d’euros grâce au tourisme.
Champ : France.
Source : Insee, compte satellite du tourisme, base 2014