Dans son arrêt du 19 décembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'objet principal de la plateforme Airbnb était un « service de la société de l’information » relevant de la directive 2000/31 sur le commerce électronique. Airbnb ne peut donc être contrainte à détenir une carte professionnelle d'agent immobilier et de se soumettre à la loi dite dite « Hoguet », applicable en France aux activités des professionnels de l’immobilier. Contrairement à ce que prétendaient les plaignantes : l’AhTop (Association pour un Hébergement et un Tourisme professionnels) et deux entreprises hôtelières (Hôtelière Turenne SAS et Valhotel).
L’AhTop, qui avait porté plainte en 2017 contre Airbnb Ireland, soutenait que cette société ne se contentait pas de mettre en relation deux parties grâce à la plate-forme éponyme, mais qu’elle exerçait une activité d’agent immobilier, sans pour autant détenir de carte professionnelle, violant de ce fait la loi « Hoguet ». Pour sa part, Airbnb Ireland faisait valoir que la directive 2000/31 s’opposait, en tout état de cause, à cette réglementation.
« Un service d’intermédiation qui a pour objet, au moyen d’une plateforme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d’hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de prestations accessoires à ce service d’intermédiation, doit être qualifié de service de la société de l’information relevant de la directive 2000/31″, a expliqué la Cour.
Elle a jugé qu’Airbnb pouvait contester l’application de mesures restreignant la libre prestation de services telles que celles de la loi Hoguet, dans la mesure où cette loi n’avait pas été notifiée par l’Etat français dans les conditions prévues par la directive européenne. »La loi Hoguet n’a donné lieu à notification par la République française ni à la Commission ni à l’Etat membre d’établissement d’Airbnb Ireland, à savoir l’Irlande », a noté la juridiction européenne.
Airbnb a salué cette décision. « Nous nous félicitons de ce jugement et voulons aller de l’avant en continuant à travailler avec les villes sur des règles claires qui permettent aux familles et aux communautés locales de devenir des acteurs d’un tourisme durable », a réagi la plateforme dans une déclaration transmise à l’AFP.
L’AhTop a estimé de son côté, auprès de l’AFP, que l’arrêt de la Cour était un « blanc-seing pour Airbnb », et épinglé la directive européenne sur laquelle il se fonde. « Elle fait peser un risque majeur sur les acteurs de l’économie réelle, seuls créateurs d’emplois, qui subissent de plein fouet la concurrence des plateformes », déplore l’association.
L’Ahtop appelle à tranformer en profondeur les règles de la concurrence dans l’Union européenne
Son président Serge Cachan a estimé « urgent que le gouvernement fasse entendre sa voix dans les prochains mois pour transformer en profondeur les règles de la concurrence dans l’Union européenne ». Il a aussi indiqué qu’il revenait à l’Etat français de « se conformer aux règles européennes pour que (les) mesures (de la loi Hoguet) puissent être applicables à Airbnb Ireland ».
Du côté de l’Umih, première organisation professionnelle de la branche Hébergement & Restauration, l’Union rappelle qu’elle ne soutenait pas cette action en justice, n’ayant jamais considéré que l’activité d’ Airbnb relevait de celle d’agent immobilier mais bien comme une société de l’information.
Pour l’UMIH, le vrai sujet, c’est la concurrence déloyale» exercée par Airbnb, ce qui a conduit l’organisation professionnelle à lui intenter un procès devant tribunal de commerce. L’UMIH estime que le non-respect de la réglementation (non retrait des annonces au-delà de 120 jours ou d’absence de numéro d’enregistrement, sous-location,…) a pour effet une appropriation illicite de la clientèle. La décision du tribunal de commerce est attendue courant 2020.
La Cour de justice de l’UE va devoir se prononcer sur une autre affaire impliquant Airbnb : elle a été saisie d’un recours contre la loi française qui conditionne la mise en location de certains logements sur des plateformes à l’obtention d’une autorisation préalable de la mairie dans les grandes villes comme Paris. Les conclusions de l’avocat général sont attendues en février. (avec l’AFP).
L’Arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-390/18 Airbnb Ireland
NDLR : les passages marqués en gras sont le fait HR-infos
« La France ne peut exiger d’Airbnb qu’elle dispose d’une carte professionnelle d’agent immobilier, faute d’avoir notifié cette exigence à la Commission conformément à la directive sur le commerce électronique
Par son arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C-390/18), la grande chambre de la Cour a jugé, d’une part, qu’un service d’intermédiation qui a pour objet, au moyen d’une plate-forme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d’hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de prestations accessoires à ce service d’intermédiation, doit être qualifié de « service de la société de l’information » relevant de la directive 2000/31 sur le commerce électronique 1. D’autre part, la Cour a considéré qu’un particulier peut s’opposer à ce que lui soient appliquées, dans le cadre d’une procédure pénale avec constitution de partie civile, des mesures d’un État membre restreignant la libre circulation d’un tel service, qu’il fournit à partir d’un autre État membre, lorsque lesdites mesures n’ont pas été notifiées conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la même directive.
Le litige au principal s’inscrit dans le cadre d’une procédure pénale introduite en France, faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile déposée contre Airbnb Ireland par l’Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP). Airbnb Ireland est une société irlandaise qui administre une plate-forme électronique permettant, moyennant le paiement d’une commission, la mise en relation, notamment en France, de loueurs professionnels ainsi que particuliers proposant des prestations d’hébergement de courte durée et de personnes recherchant ce type d’hébergement. En outre, Airbnb Ireland propose auxdits loueurs des prestations accessoires, comme un canevas définissant le contenu de leur offre, une assurance responsabilité civile, un outil d’estimation du prix de leur location ou encore des services de paiement relatifs à ces prestations.
L’AHTOP ayant porté plainte contre Airbnb Ireland soutenait que cette société ne se contentait pas de mettre en relation deux parties grâce à la plate-forme éponyme, mais qu’elle exerçait une activité d’agent immobilier sans détenir de carte professionnelle, violant ainsi la loi dite « Hoguet », applicable en France aux activités des professionnels de l’immobilier. Pour sa part, Airbnb Ireland faisait valoir que la directive 2000/31 s’opposait, en tout état de cause, à cette réglementation.
Interrogée sur la qualification du service d’intermédiation fourni par Airbnb Ireland, la Cour a rappelé, en se référant à l’arrêt Asociación Profesional Elite Taxi 2, que, si un service d’intermédiation satisfait aux conditions visées à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 3, auquel renvoie l’article 2, sous a), de la directive 2000/31, il constitue en principe un « service de la société de l’information », distinct du service subséquent auquel il se rapporte. Toutefois, il doit en aller autrement s’il apparaît que ce service d’intermédiation fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service relevant d’une autre qualification juridique.
En l’espèce, la Cour a considéré qu’un service d’intermédiation tel que celui fourni par Airbnb Ireland remplissait ces conditions sans que la nature des liens existant entre le service d’intermédiation et la prestation d’hébergement justifie d’écarter la qualification de « service de la société de l’information » dudit service d’intermédiation et, partant, l’application à celui-ci de la directive 2000/31.
Pour souligner le caractère dissociable que présente un tel service d’intermédiation par rapport aux prestations d’hébergement auxquelles il se rapporte, la Cour a relevé, en premier lieu, que ce service ne tend pas uniquement à la réalisation immédiate de telles prestations mais consiste pour l’essentiel en la fourniture d’un instrument de présentation et de recherche des logements mis à la location, facilitant la conclusion de futurs contrats de location. Dès lors, ce type de service ne saurait être considéré comme constituant le simple accessoire d’un service global d’hébergement. En deuxième lieu, la Cour a souligné qu’un service d’intermédiation tel que celui fourni par Airbnb Ireland n’est aucunement indispensable à la réalisation de prestations d’hébergement, les locataires et les loueurs disposant de nombreux autres canaux à cet effet, dont certains existent de longue date. En troisième lieu, la Cour a relevé qu’aucun élément du dossier n’indiquait qu’Airbnb fixerait ou plafonnerait le montant des loyers réclamés par les loueurs ayant recours à sa plate-forme.
La Cour a encore précisé que les autres prestations proposées par Airbnb Ireland ne permettent pas de remettre en cause ce constat, ces diverses prestations étant simplement accessoires au service d’intermédiation fourni par cette société. En outre, elle a indiqué que, à la différence des services d’intermédiation en cause dans les arrêts Asociación Profesional Elite Taxi et Uber France 4, ni ce service d’intermédiation ni les prestations accessoires proposés par Airbnb Ireland ne permettent d’établir l’existence d’une influence décisive exercée par cette société sur les services d’hébergement auxquels se rapporte son activité, s’agissant tant de la détermination des prix des loyers réclamés que de la sélection des loueurs ou des logements mis en location sur sa plate-forme.
En outre, la Cour a examiné si Airbnb Ireland peut, dans le litige au principal, s’opposer à ce que lui soit appliquée une loi restreignant la libre prestation des services de la société de l’information fournis par un opérateur à partir d’un autre État membre, telle que la loi Hoguet, au motif que cette loi n’a pas été notifiée par la France, conformément à l’article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31. À cet égard, la Cour a relevé que le fait que ladite loi soit antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2000/31 ne saurait avoir eu pour conséquence de libérer la France de son obligation de notification. Ensuite, s’inspirant du raisonnement suivi dans l’arrêt CIA Security International 5, elle a considéré que ladite obligation, qui constitue une exigence procédurale de nature substantielle, doit se voir reconnaître un effet direct. Elle en a déduit que la méconnaissance, par un État membre, de son obligation de notification d’une telle mesure peut être invoquée par un particulier dans le cadre non seulement de poursuites pénales dirigées contre lui, mais également d’une demande indemnitaire formée par un autre particulier s’étant constitué partie civile.
RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. »
1 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1).
2 Arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15) ; voir également CP 136/17.
3 Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure
d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de
l’information (JO 2015, L 241, p. 1).
4 Arrêt du 10 avril 2018, Uber France (C-320/16) ; voir également CP 39/18.
5 Arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C-194/94).