Dans deux recherches parallèles, l'Urssaf et l'Insee ont examiné les revenus d'activités des travailleurs indépendants (ou non-salariés, termes équivalents) pour l'année 2022, dernière publiée. Celles-ci fournissent de nombreux enseignements, au désavantage de l'Hébergement Restauration. Leur revenu mensuel moyen (2 080 €) est éloigné de la moyenne inter sectorielle (4 030 €) et apparait même dans le peloton de queue des secteurs. 25 % seulement des indépendants employeurs ont un revenu supérieur à 3 050 €. Mais près d'1 sur 5 déclare des revenus nuls ou déficitaires.
L’enquête Urssaf
Un net rattrapage des revenus qui ne suffit pas à retrouver leur niveau de 2019
Le premier tableau ci-dessous couvre l’ensemble des travailleurs indépendants (TI) dits classiques (hors auto-entrepreneurs). Et pas uniquement les indépendants employeurs.
On notera que les TI exerçant dans l’Hébergement représentent environ 15 % de l’ensemble des TI de la branche. Alors que les salariés de l’Hébergement pèsent 22 % de ses effectifs totaux. Ce qui signifie que l’effectif salarié d’un établissement d’Hébergement est plus élevé que celui d’un établissement de Restauration ou de Débits de boissons.
On peut dégager au moins trois constats. En premier lieu, les revenus annuels moyens de ces TI, qu’ils exercent dans l’Hébergement ou dans la Restauration, sont plus de deux fois inférieurs à la moyenne inter sectorielle (45 531 €). Le pic culminant à 136 166 euros pour un médecin spécialisé ou un laboratoire d’analyse. Et le plancher tombant à 8 727 euros pour les TI exerçant dans le secteur de la poste et du courrier. Parmi les quelque 40 secteurs d’activité classés par l’Urssaf, les revenus des TI de l’Hébergement Restauration surnagent parmi les cinq plus bas.
Deuxième constat : en 2022, les revenus de ces TI, y compris dans la majorité des secteurs d’activité, n’avaient pas retrouvé leur niveau de 2019. Cela en raison d’une inflation historiquement élevée en 2022 : +5,3 % en moyenne pour l’Indice des Prix à la Consommation. Un niveau qui n’avait été jamais été atteint depuis les années 80.
L’inflation de 2022 a gommé les gains de pouvoir d’achat obtenus en 2021 et 2022
Certes, les progressions de revenus annuels, expriméees en euros courants, ont été très fortes en 2021 et 2022 par rapport à 2020 et 2021 (respectivement +11,1% et +15,2%). Ces hausses ont toutefois été légèrement grignotées par l’inflation en 2020 et 2021. Atteignant tout de même +9,3 % et +9,4 % en euros constants. Et surtout, l’évolution entre 2022 et 2019 qui était positive en euros courants (+4 %) est devenu négative en euros constants (-3%) une fois intégrée l’inflation de 2022. En clair, les TI ont vu leur pouvoir d’achat se réduire sur la période.
Troisième et dernier constat : les revenus des TI de la Restauration et Débits de boissons sont supérieurs à ceux de leurs collègues de l’Hébergement. Ceci s’explique par une proportion moins élevée d’indépendants employeurs dans l’Hébergement : 69 % contre 80,8 % dans la Restauration et Débits de boissons. Le tableau suivant montre une hiérarchie inverse : les TI hébergeurs employeurs ont des revenus nettement supérieurs.
Source : Urssaf – extraits du tableau général
Définition Insee euros courants – euros constats :
Les prix en euros courants sont les prix tels qu’ils sont indiqués à une période donnée, ils sont dits en valeur nominale.
Les prix en euros constants sont les prix en valeur réelle c’est-à-dire corrigés de la variation des prix (de l’inflation) par rapport à une donnée de base ou de référence.
Les revenus des indépendants employeurs significativement plus élevés
Le constat de base reste inchangé. Les indépendants employeurs dans la branche HR gagnent moins leur vie au travail que leurs confrères des autres secteurs. La moyenne inter sectorielle atteignait 56 861 euros en 2022. Alors qu’elle culminait à 30 068 pour les indépendants employeurs de l’Hébergement. Et ne dépassait pas 27 123 euros en Restauration.
Les plus mal lotis sont les TI employeurs de TPE
Gardons-nous toutefois de tomber dans la caricature misérabiliste. Ce constat est à nuancer fortement dès lors qu’on considère la taille de l’entreprise.
Ainsi, dans le secteur Restauration – Débit de boissons, le revenu annuel moyen d’un TI employeur sans salariés ne dépasse pas 13 600 euros. Lorsqu’il emploie 1 à 2 salariés, son revenu moyen déclaré est proche des 19 000 euros. Avec 3 ou 4 salariés, ce TI employeur en Restauration atteint 29 000 euros. Entre 5 et 9 salariés il avoisine 38 000 euros. Et à partir de 10 salariés, il dépasse 67 000 euros.
Prédominance des TI employeurs en Restauration et Débits de boissons
Le secteur de la Restauration et Débits de boissons rassemble plus d’un dixième (10,6 %) des TI (Travailleurs Indépendants), l’Hébergement n’en regroupant que 1,4 %. Dans la Restauration toujours, les travailleurs indépendants emploient en grande majorité des salariés (67,9 % d’entre eux vs 49 % dans l’Hébergement).
On note d’ailleurs que les TI employeurs de la Restauration Débits de boissons représente 88,5 % de l’ensemble des TI employeurs de la branche (11,5 % seulement dans l’Hébergement). Ces TI employeurs sont proportionnellement un peu plus nombreux que les TI toutes catégories confondues (84,8%).
Source : Urssaf – extraits du tableau général
Définition Insee euros courants – euros constats :
Les prix en euros courants sont les prix tels qu’ils sont indiqués à une période donnée, ils sont dits en valeur nominale.
Les prix en euros constants sont les prix en valeur réelle c’est-à-dire corrigés de la variation des prix (de l’inflation) par rapport à une donnée de base ou de référence.
L’enquête Insee
Les non-salariés ont des revenus mensuels moyens près deux fois inférieurs à la moyenne nationale
L’Insee calcule ces revenus par mois. Dans le premier tableau ci-dessous, force est de constater, là aussi, que le revenu moyen d’activité (2 080 euros) d’un non-salarié classique (hors micro-entrepreneurs) se situe très nettement en dessous de la moyenne nationale qui est de 4 030 euros.
Les non-salariés les mieux pourvus sont les médecins et dentistes, avec 9 720 euros par mois en moyenne. Et les moins biens lotis exercent dans le commerce de détail hors magasin avec 1 480 euros de revenus mensuels moyens.
Tout comme l’Urssaf, l’Insee observe un recul du pouvoir d’achat des non salariés de la branche entre 2022 et 2019, de l’ordre de 2,6 %. Ceci en raison de l’inflation à 5,3 % qui a sévi en 2022. Mais ce recul a frappé aussi la plupart des autres secteurs d’activité. A l’exception des non-salariés en pharmacie (+9,9 %).
Parmi les non-salariés classiques de la branche HR, un autre chiffre inquiète. 18,5 % des 146 000 non-salariés déclarants de 2022 (soit environs 27 000 personnes) on déclaré un revenu d’activité nul (ou déficitaire), faute d’avoir dégagé de bénéfices ou de ne s’être pas versé de rémunération.
Le modeste revenu moyen mensuel d’un micro-entrepreneur de la branche
Dans un autre tableau disponible en ligne, l’Insee inclue également les non-salariés micro-entrepreneurs. Ceux-ci représentaient en 2022 environ 24 % des 190 000 non-salariés de la branche Hébergement Restauration.
Leur revenu moyen mensuel ne dépassait pas 630 euros. Soit le tiers du revenu moyen d’un non-salarié classique de la branche. Sachant qu’une proportion d’entre eux (non précisée par l’Insee) n’avait pas déclaré de revenus cette année-là.
Ces 630 euros se situent un peu en-dessous de la moyenne nationale inter sectorielle (670 euros). Mais encore moins bien nantis sont les micro-entrepreneurs du commerce de plein-air (340 euros) et des métiers de bouche (470 euros). Et plus bas, ceux du transport, avec 170 euros mensuel.
Lecture : Fin 2022, 146 000 non-salariés (hors micro-entrepreneurs) travaillent dans le secteur de l’Hébergement Restauration. Parmi eux, 18,5 % ont un revenu nul ou déficitaire. Leur revenu mensuel moyen (y compris revenus nuls ou déficitaires) est de 2 080 euros.
Champ : France hors Mayotte, personnes exerçant une activité non salariée au 31 décembre 2022, hors agriculture.
Source : Insee, bases Non-salariés. Traitement graphique : HR-infos
Une distribution très éclatée des revenus d’activité
Les moyennes déforment toujours la réalité. Dans le tableau ci-dessous qui n’inclue pas les micro-entrepreneurs dans le détail sectoriel, cette moyenne de 2 080 euros pour les non-salariés classiques de l’HR est un peu trompeuse, les écarts de revenus étant très importants.
Le panorama se précise avec un découpage par décile, quartile et revenu médian. L’Insee observe ainsi que 10 % de ces non-salariés perçoivent moins de 380 euros par mois (1er décile). Et que pas plus d’un sur deux perçoit jusqu’à 1 730 euros par mois, qui constitue le revenu médian du secteur. Un revenu mensuel moyen bien inférieur au revenu médian inter sectoriel de 2 900 euros.
Et quand on grimpe dans l’échelle des revenus (3 ème quartile), un indépendant HR sur quatre perçoit plus de 3 020 euros. Quand leurs confrères des autres secteurs touchent en moyenne 5 190 euros. Avec un pic à 12 400 euros pour les médecins et dentistes.
Tout en haut de l’échelle (9 ème décile), un non-salarié HR sur dix perçoit plus de 5 060 euros par mois. Soit 12,4 fois plus que les 10 % qui gagnent moins de 380 euros par mois.
Des comparaisons possibles avec les revenus des salariés ?
Comment se situent les revenus d’activité des TI de la branche par rapport à ceux des salariés ? La réponse est complexe dans la mesure où la comparaison ne porte pas sur les mêmes périmètres de revenus.
Dans le cas des salariés, l’Urssaf fournit un salaire moyen par tête (SMPT) (brut) qui est calculé en rapportant la masse salariale du trimestre à l’effectif moyen observé sur le trimestre. Le SMPT est ensuite divisé par trois pour obtenir une grandeur mensuelle.
Le SMPT ne correspond donc pas à un revenu net perçu. Contrairement à celui des non-salariés qui déclarent un revenu annuel sur lequel l’Urssaf applique ensuite des cotisations sociales.
Sur la base des déciles et des quartiles, on pourrait conclure sans grand risque d’erreur que 25 % au moins des TI classiques perçoivent sans doute un revenu d’activité (930 euros) inférieur à celui d’un salarié. Son SMPT, en effet, s’élevait à 2023 euros fin 2022. Et même 2 405 euros pour un salarié de l’Hébergement. Même constat pour les micro-entrepreneurs dont le revenu moyen plafonnait à 630 euros.
A partir du 3ème quartile et à fortiori du 9ème décile, les revenus des TI apparaissent sans conteste supérieurs à ceux de la moyenne des salariés.
Des comparaisons plus praticables grâce aux conventions collectives
Reste le revenu médian… Nous ne disposons pas d’éléments comparables. On peut toutefois relever que la convention collective des HCR faisait ressortir en 2022 un salaire moyen net mensuel équivalent temps-plein de 1 970 euros (source Dares : fiche statitique des conventions collectives de branche).
Ce salaire net ETP est donc bien supérieur au revenu mensuel médian des TI (1 780 euros). Il est en revanche un peu inférieur au revenu moyen (2 080 euros). Mais on a vu que celui-ci reflétait assez mal la dispersion des revenus. Contrairement aux revenus des conventions collectives qui sont garantis légalement par des minima par catégorie d’emploi : cadre, profession intermédiaire, employé, ouvrier. Le salaire moyen net ETP d’un ouvrier des HCR atteint ainsi 1 850 euros. Celui d’un cadre, 3 550 euros. Seuls les employés disposent d’un revenu moyen net ETP (1 720 euros) un peu inférieur au revenu médian des TI.
Lecture : Fin 2022, 144 000 non-salariés hors micro-entrepreneurs exercent dans le secteur de l’Hébergement Restauration. 18,5 % d’entre eux ont déclaré un revenu d’activité nul ou déficitaire en 2022. Parmi ceux qui ont déclaré un revenu positif, un sur dix perçoit moins de 380 euros par mois (1er décile, D1), un sur deux perçoit moins de 1 730 euros par mois (revenu médian). Un sur quatre perçoit plus de 3 020 euros. Un sur dix perçoit plus de 5060 euros par mois.
Champ : France hors Mayotte, personnes exerçant une activité non salariée au 31 décembre 2022, hors agriculture.
Source : Insee, base Non-salariés. Urssaf, base salariés 4T2022. Traitement graphique : HR-infos
Non-salariés, indépendants… Quelle différences ?
Et comment expliquer des écarts de résultats entre l’étude Urssaf et l’étude Insee ?
Les travailleurs indépendants constituent une population hétérogène. Elle recouvre les exploitants agricoles, les commerçants, les artisans ou encore les professionnels libéraux.
Les uns et les autres sont liés, si l’on peut dire…, par leur absence de lien de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ordre. Et ils ne disposent pas de contrat de travail. La plupart n’ont pas le statut de salarié et sont donc « non-salariés ».
Sollicité par HR-infos, l’Insee reconnait toutefois une « légère différence sémantique » entre « non-salariés » et « travailleurs indépendants ».
En revanche, il n’y a pas a priori de différence de champ entre la publication de l’Urssaf Caisse Nationale (UCN) et celle de l’Insee. Pour l’UCN, travailleurs indépendants est synonyme de non-salariés. Et l’Insee travaille sur la même base de données brutes, fournie par l’UCN.
Les résultats des deux publications sont toutefois légèrement différents entre elles. Pour l’UCN, le revenu des non-salariés « classiques » baisse de 0,5 % entre 2021 et 2022. Mais pour l’Insee il est plutôt stable. L’Institut a écrit -5,2% en euros constants. Or, avec une inflation de 5,2%, cela sous-entend une évolution de 0% en euros courants.
Cet écart d’évolution du revenu des non-salariés « classiques » est faible en général, estime l’Insee. Elle tient à de petites différences de retraitement et d’exploitation des données brutes. L’Insee en a précisé à HR-infos les principaux éléments, sur le champ « hors agriculture » :
- « L’Insee suit des individus alors que l’UCN suit des « comptes cotisants » : si un individu a plusieurs comptes, alors il compte une seule fois avec un revenu plus important pour l’Insee, et plusieurs fois avec des revenus plus modestes pour l’UCN. »
- L’Insee ajoute à son champ environ 15 000 individus issus de données de la mutualité sociale agricole (MSA), qui travaillent bien dans le champ non-agricole. »
- Pour l’Insee, les revenus sont corrigés de la durée d’affiliation (pour les individus qui ne sont pas affiliés toute l’année) de manière à proposer un « revenu annualisé », ce qui n’est pas le cas côté UCN. »