Le Parlement européen examine un projet de Règlement fixant un délai de paiement de 30 jours pour les entreprises de l'UE, avec l'objectif de renforcer la trésorerie des PME et lutter contre les retards de paiement. Selon une étude d'Altares et du LaRGE, laboratoire de recherche de l’Université de Strasbourg, près des trois-quarts des entreprises françaises seraient impactées. Les PME bénéficieraient de plus de 14 milliards d’euros de liquidités nouvelles. Mais pour certaines, dont trois secteurs de l'HR, la nouvelle norme induirait de lourds besoins de financement.
Le calendrier européen est largement engagé, avec trois visées claires et complémentaires. D’une part, instaurer dans les 27 états-membres de l’Union la règle des 30 jours de délais de paiement. D’autre part, prévoir des exceptions limitées à cette norme des 30 jours. Enfin, alourdir les sanctions en cas de retard de paiement.
Le 20 mars, la commission du Parlement en charge du marché intérieur et de la protection du consommateur a adopté à une large majorité sa position sur le règlement relatif à la lutte contre les retards de paiement. Celui-ci vise améliorer la discipline de paiement de tous les acteurs (grandes entreprises, PME et pouvoirs publics). Et à stimuler la compétitivité des entreprises, en particulier des PME.
Le projet institue un délai de paiement plus strict de 30 jours dans les transactions entre entreprises et entre gouvernements Ceci dans le but d’uniformiser les paiements dans les délais entre les entreprises et les pouvoirs publics. Mais les députés membres de la commission souhaitent également garantir aux entreprises la possibilité de négocier des délais de paiement allant jusqu’à 60 jours calendaires dans les transactions B2B. A la condition qu’un contrat le prévoit expressément.
Se faire payer plus rapidement pour payer plus rapidement…
Comme on le voit, ce raccourcissement des délais jouera dans les deux sens. Payées plus vite par leurs clients, les entreprises disposeront de ressources liquides supplémentaires. Mais elles devront aussi payer plus rapidement leurs fournisseurs. Elles seront donc confrontées à des besoins de financements nouveaux. Y compris extérieurs.
Parmi les entreprises payant leurs fournisseurs en retard, seules celles bénéficiant de ressources nouvelles, avec des clients payant plus vite, pourraient être en mesure de réduire leurs retards. Ce qui sera plus difficilement le cas dans l’Hébergement Restauration où les paiements se font déjà très majoritairement au comptant.
Prochaine étape du calendrier: une mise aux voix lors de la session du 22 au 25 avril pour établir la position du Parlement en première lecture. Le nouveau Parlement issu des élections européennes de juin 2024 reprendra ensuite le dossier.
Délais de paiement actuels en France : entre 50 et 60 jours !
Selon Altares, en France, les délais clients avoisinent en moyenne 50 jours et les délais fournisseurs 60 jours.
Dans l’hypothèse où la norme imposerait un délai unique de 30 jours, 71 % des microentreprises, 86 % des PME, 92% des ETI et 94% des Grandes Entreprises seraient impactées. Des pourcentages qui correspondent à celles dont les les délais de paiement clients ou fournisseurs sont supérieurs à 30 jours.
Trois cas de figure pour les entreprises dont les délais dépassent aujourd’hui 30 jours
- Les entreprises dont les seuls délais de règlement des clients sont au-delà des 30 jours. Elles verront leurs ressources de trésorerie croître. On les trouve principalement dans les services aux entreprises où les achats sont souvent d’un montant faible par rapport aux ventes.
- Les entreprises dont les seuls délais de règlement de leurs fournisseurs sont au-delà des 30 jours. Elles verront leurs ressources de trésorerie diminuer et devront financer les besoins nouveaux. On les trouve dans les activités d’aval, où les clients payent souvent comptant et où les achats représentent une part importante des ventes, comme le commerce de détail ou l’hébergement-restauration.
- Les entreprises dont les délais de règlement des clients ET des fournisseurs sont au-delà des 30 jours. Elles verront à la fois leurs ressources et leurs besoins de trésorerie croître. On les trouve dans les secteurs amont : l’industrie, la construction, le commerce de gros.
Les types d’impact et pourcentages des entreprises non impactées et impactées par secteur
La branche Hébergement Restauration serait parmi les plus impactées par une réduction des délais de paiement de ses fournisseurs.
Données Altares – Calculs du LaRGE – Traitement graphique du tableau HR-infos[/vc_column_text]
Les top 10 des secteurs où les besoins des PME et microentreprises ne seraient pas couverts
Observé par activité, l’effort de financement lié à la réduction des délais des paiements fournisseurs, sera particulièrement important pour les PME et microentreprises dont les besoins nouveaux de trésorerie ne sont pas couverts.
C’est le cas, entre autres, pour les restaurateurs. Près de 3 300 d’entre eux ne pourraient aujourd’hui faire face, sans financement externe, aux 64 000 € de besoins de trésorerie qu’induirait la norme, en moyenne. C’est aussi le cas pour plus de 1 000 hôtels qui devraient faire face à plus de 202 000 € de besoins de trésorerie supplémentaires.
Données Altares – Calculs du LaRGE – Traitement graphique du tableau HR-infos
Thierry Millon, directeur des études de la société Altares
«Altares calcule régulièrement qu’en moyenne, moins d’une entreprise sur deux paye ses factures à l’heure en Europe (49,7% fin 2023) comme en France (48,3%). Le retard de paiement est naturellement un fléau contre lequel il faut lutter. Néanmoins, ne confondons pas retard et délai de paiement. Certes par effet domino, l’allongement des délais clients se répercute sur les délais fournisseurs. Mais plus que le délai, c’est le non-respect de la date d’échéance qu’il convient de combattre.
La proposition d’un plafonnement des délais à 30 jours vise, par ailleurs, à redonner de la liquidité aux PME. Et là, pour nombre d’entre elles, l’objectif devrait être atteint. En revanche, pour d’autres, en particulier celles déjà fragiles qui devront payer plus rapidement leurs fournisseurs sans pouvoir accélérer le règlement des clients, des financements externes, pas toujours accessibles, seront indispensables.
L’initiative européenne est louable mais nécessite probablement d’être assouplie pour tenir compte notamment de spécificités sectorielles.»
Michel Dietsch, membre du LaRGE
« Ces changements remettraient en cause les équilibres de trésorerie qui prévalent actuellement dans les relations interentreprises et le rôle qu’y joue le crédit interentreprises. Au-delà de l’application de la norme, c’est l’équilibre de l’écosystème complet du financement des chaînes d’offre, qui associe clients, fournisseurs et financiers qui risquerait d’être remis en cause.
Le projet de faire passer les délais à 30 jours rendrait sans conteste aux PME une partie de la liquidité qui leur est soustraite par des délais de règlement trop longs. Mais c’est au prix d’un telle fragilisation d’une partie d’entre elles qu’on est en droit de se demander si les fournisseurs souhaiteraient réellement imposer des délais de règlement plus courts à leurs distributeurs. »