Dans un arrêt du 7 avril, les juges ont confirmé l'existence d'une relation commerciale et l'absence de contrat de travail, entre la plateforme numérique et le "partenaire livreur" qui l'avait attaqué en mai 2017 devant le Conseil de prud'hommes de Paris. Selon la Cour, en effet, aucun lien de subordination juridique permanent, constitutif d'un contrat de travail, n'a été établi entre les deux contractants. A ce jour, en France du moins, toutes les décisions rendues en appel ont été favorables à Deliveroo.
Victoire, au moins provisoire, pour Deliveroo France. Les juges français lui ont donné à nouveau raison. La Cour d’appel de Paris vient de débouter un ancien livreur qui demandait la requalification en contrat de travail de son contrat de prestation de services. C’est la résiliation de ce contrat par Deliveroo qui avait conduit le livreur à saisir la juridiction du travail…
Rappelons un critère clef du contrat de travail, tel que le Code du Travail le définit. Fournir une prestation oblige à un contrat de travail entre le donneur d’ordre, même indépendant, et le fournisseur, quand la fourniture de cette prestation engendre un lien de subordination juridique permanent entre les contractants.
Aussi solide soit-il, ce principe de base doit être réinterprété au regard des nouveaux modes d’organisation du travail. En particulier depuis le développement exponentiel des plateformes numériques. Leur modèle économique reposait jusque là sur des contrats de prestation passés avec des entrepreneurs indépendants, micro-entrepreneurs dans le cas de France. Mais s’agit-il bien seulement de contrats de prestations ?
Deliveroo rate son introduction à la Bourse de Londres, en raison du risque social et juridique
On sait ce modèle de plus en plus fragilisé dans le cas de la réservation de véhicules. Ainsi au Royaume-Uni, la Cour suprême britannique va obliger Uber à reconnaître le statut de travailleurs salariés à ses chauffeurs.
Sur le marché de la livraison, la situation semble un peu différente. Mais en Grande-Bretagne toujours, une révolte sociale commence à se faire entendre. Le 7 avril, à Londres, quelques centaines de livreurs (on dénombrerait 15 000 riders Deliveroo au Royaume-Uni) manifestaient pour exiger une amélioration de leurs conditions de travail.
« Nous n’avons pas de salaire minimum, pas de congés payés, pas d’indemnité maladie, déplorait Merlin, un membre du syndicat des travailleurs indépendants britanniques, interrogé par RFI. Deliveroo gagne beaucoup d’argent grâce à nous et nous demandons de meilleures compensations, une meilleure reconnaissance de notre travail… »
C’est d’ailleurs ce double risque social et juridique qui a provoqué l’insuccès de l’introduction en bourse de Deliveroo. L’action perdant jusqu’à 31 % de sa valeur le premier jour de sa cotation, faute de gros investisseurs. Valant 390 pences début avril, elle n’en valait plus que 280 le 6 avril. A son introduction au London Stock Exchange, Deliveroo était valorisée 7,6 milliards de Livres. Sa valeur tombait à 5,1 milliards une semaine plus tard.
Nous n’en sommes pas encore là en France. Juridiquement, le statut de Deliveroo semble assez solide. Mais pas totalement. En effet, en février 2020, un conseil des prud’hommes a pour la première fois condamné l »entreprise pour « travail dissimulé. ». Selon les juges, le fait de rémunérer le livreur en tant qu’entrepreneur indépendant et non comme employé régulier constituait « une tentative de contourner la législation du travail.» Deliveroo a contesté ses conclusions et fait appel.
Liberté de choisir ses livraisons, travailler avec d’autres plateformes et sous-traiter…
Toute autre est l’analyse de la Cour d’Appel de Paris, dont nous avons pu nous procurer le jugement. Pour elle, « aucun indice, aucune subordination ne ressort des pièces du dossier.» Y compris dans le cas du système de géolocalisation, qui est « inhérent au service demandé ». Pas plus que dans l’octroi d’une assurance gratuite, constituant uniquement, une « amélioration » de la « situation matérielle» du prestataire.
Le juge a considéré également que les partenaires livreurs disposent d’une certaine liberté commerciale. Dont ne pourrait jouir un salarié. Les livreurs peuvent décider de leurs plages de travail et de leurs lieux de travail. Décider d’accepter ou de refuser les tarifs proposés par le cocontractant, voire de les négocier. Deliveroo ajoute qu’ils peuvent également collaborer avec d’autres plateformes concurrentes de Deliveroo (ce que faisait le plaignant). Et même sous-traiter leurs prestations.
Le juge n’a pas non plus retenu comme constitutif d’une subordination permanente les sanctions dont le livreur a été l’objet. En particulier pour le non respect des tranches horaires de livraison sur lesquelles il s’était contractuellement engagé.
De manière générale, pour se prémunir sans doute de nouveaux contentieux dans l’avenir, Deliveroo considère accorder aux livreurs indépendants des facultés incompatibles avec le statut des travailleurs. Ces « facultés » sont précisément définies par une ordonnance de la Cour européenne de justice rendue le 22 avril 2020
La juridiction de Luxembourg définit en effet six « facultés », six libertés de fait, que Deliveroo assure garantir à ses « partenaires livreurs ». Liberté pour eux de choisir quand et où travailler. Liberté de choisir l’amplitude horaire de travail. De mettre fin à son partenariat à sa convenance. De refuser une course. Liberté de travailler avec une plateforme concurrente. Et même de sous-traiter son activité. L’avenir dira si ce modèle suffira encore à emporter l’adhésion des juges français.