Au sein du Top 500 français, ils ne sont plus que 23 très grandes fortunes de la branche H&R à posséder 13,8 milliards d'euros d'actifs professionnels. En 1 an, leur patrimoine a perdu plus du quart de sa valorisation. Neuf barons du secteur ont disparu du classement. Cette destruction de valeur, sans précédent dans l'histoire moderne des HCR, a une cause unique : leur forte exposition à la crise du Covid-19.
Une preuve supplémentaire de la déflagration de la pandémie sur l’Hébergement Restauration, l’un des secteurs les plus Covid-exposés avec l’Aérien, l’Automobile et la Culture. En 2019, les 31 milliardaires et multi millionnaires de la branche recensés par le magazine Challenges, pesaient 19,2 milliards d’euros, soit 2,7 % de la richesse cumulée par les 500 plus grandes fortunes professionnelles de France (700 milliards). Cette année, les 23 restant classés cumulent « seulement » 13,8 milliards, soit 1,9 % du total. En 2019, la valeur des grandes fortunes des CHR faisait un bond en avant de 26 %. En 2020, elle fait un saut en arrière de 28 %.
Le contraste est d’autant plus marqué que la richesse cumulée par les 500 progresse de 3 % (730 milliards). Les fortunés investis dans les secteurs Covid-résistants, comme la Santé, le Numérique, les Télécoms ou encore le Luxe ont continué d’engranger des milliards d’euros supplémentaires. Ainsi, la fortune de Bernard Arnaud et sa famille, numéro 1 incontesté, s’est hissé de 88,2 à 100 milliards d’euros. Celle de Xavier Niel a grimpé de 5,9 à 9 milliards. Tandis que le patrimoine professionnel d’Alain Mérieux, à la tête de Biomérieux, spécialiste du biodiagnostic et notamment du dépistage du Covid-19, a augmenté de 53,8 % à 8 milliards.
Exit Paul Dubrule et Gérard Pélisson
Dans la même période, la crise détruisait plus de 5 milliards d’euros d’actifs dans les HCR. En éjectant au passage deux figures historiques du classement, Paul Dubrule et Gérard Pélisson. La fortune des deux cofondateurs du groupe Accor n’atteint plus le seuil des 150 millions d’euros requis. Toujours actionnaires du groupe hôtelier, ils ont pâti de la chute de 43 % de l’action Accor depuis le 1er janvier 2020.
Signe encore de l’étendue de cette débâcle, toutes les fortunes ont subi des pertes. Quelles que soient leur origine. Gestion de murs hôteliers. Exploitation hôtelière. Restauration commerciale ou restauration sous contrat. Une seule exception à cette déroute générale, la famille Falco. Les limiers de Challenges continuent, curieusement, de stabiliser à 350 millions d’euros ces investisseurs hôteliers principalement actifs à Paris.
Le plus impacté est aussi le plus riche. Pierre Bellon, détenteur avec sa famille d’environ 42 % du groupe Sodexo, a perdu à lui seul 2 milliards d’euros, soit 31 % de son patrimoine professionnel. Tout simplement parce que l’action Sodexo a dévissé de 42 % depuis le 1er janvier. Mais il lui reste encore 4,5 milliards, le niveau que son pactole atteignait en 2017. C’est aussi en raison de la dégringolade boursière d’Elior, que Robert Zolade, son co-fondateur et actionnaire encore à hauteur de 22 %, a vu sa fortune passer de 550 à 330 millions. Calculée en pourcentage (40 %), c’est la plus grosse perte enregistrée cette année dans la branche.
La fortune du conquérant Olivier Bertrand recule pour la première fois
Autre famille touchée, les Desseigne-Barrière, avec 340 millions volatilisés en quelques mois, l’équivalent d’un tiers de leur fortune. Non pas à cause du krach boursier. Leurs affaires ne sont pas cotées, hormis la société fermière du casino municipal de Cannes,. Son action, peu liquide, n’a perdu que 25 % de sa valeur. Mais en raison de la mise à l’arrêt pendant trois mois de leurs hôtels et casinos. Des établissements qui aujourd’hui, ne tournent toujours pas à plein régime.
Et l’on pourrait multiplier les exemples de dévissage patrimonial. La très discrète « hôtelière » Perpignanaise Marie Farines voit s’évaporer un tiers de la fortune héritée de son père. Lui reste encore 400 millions d’euros et davantage quand le marché reprendra des couleurs. Serge Cachan (et ses frères), toujours prêt à communiquer dans les médias, sauf quand il s’agit de valider l’estimation de son patrimoine, voit la valeur de son principal actif, Astotel, dépréciée de 31 % par Challenges. L’autodidacte Olivier Sadran, champion de la restauration des transports aérien et ferroviaire, a perdu également 31 % en raison des difficultés de sa société Newrest.
Par ailleurs, le pourtant avisé Aveyronnais Jean-Louis Costes, propriétaire des hôtels Costes et Lotti et d’une brassée de brasseries parisiennes, n’a rien pu contre les forces dépressives du marché. Sa fortune professionnelle a reculé de 31 %, à 280 millions d’euros. Et que dire de son cadet, Olivier Bertrand, le nouveau roi français des restaurations rapide et thématique. Devenu numéro 2 du secteur commercial, avec plus de 1 000 restaurants et brasseries, à force de rachats et d’endettement. Celui qui milite pour un retour à la TVA à 5,5 %, qui doperait les marges de ses points de vente, rétrograde de 27 % à 400 millions d’euros.
Les fortunes se reconstitueront mais les dividendes attendront
Pour autant, il convient de relativiser ce recul des fortunes. On ne parle pas ici de ruine ni de banqueroute. Encore moins de précarité et de de soupe populaire. Car une fois la crise passée, à l’horizon 2022, les grands patrimoines s’enfleront à nouveau. La relative prospérité qu’a connue la branche depuis 2016 avait d’ailleurs davantage profité aux ultra riches qu’aux salariés de la branche, creusant encore plus les inégalités sociales. A l’inverse, en ces temps de crise, ce seront ces mêmes salariés mais aussi les petits entrepreneurs qui trinqueront le plus. Avec trois traductions concrètes : des liquidations d’entreprise, des faillites personnelles et du chômage de masse.
L’Etat et l’éthique personnelle devront veiller à ce que les fortunes ne se reconstituent pas au détriment des salariés. A cet égard, l’Etat a invité les dirigeants et conseils d’administration des entreprises ayant dégagé de gros résultats en 2019 à renoncer à verser des dividendes cette année. Les décisions prises par Accor et Sodexo vont dans ce sens.
Et si l’on reparlait de participation financière des salariés à leur entreprise
Interrogé par Les Echos Executive, Claude Lopater, expert-comptable et auteur réputé résume bien l’exigence : « Dans le contexte actuel, les entreprises se doivent d’être encore plus citoyennes et exemplaires. A moyen terme, elles devront être en mesure de justifier leurs décisions de maintien, réduction ou suppression de leurs dividendes 2020, c’est-à-dire montrer qu’elles ont été prudentes, responsables et solidaires. Et il est clair qu’un groupe qui aurait versé des dividendes ne pourrait en aucun cas procéder à des licenciements dans les prochaines années.»
Oui mais voilà ! Dividendes ou pas, la question de la participation des salariés au capital de leur entreprise devra se reposer, tôt plutôt que tard. Celle-ci, pour l’instant, reste marginale hormis dans le cas des coopératives. De même, la généralisation, ou en tout cas l’extension de l’intéressement, qui ne concerne aujourd’hui que 3 millions de salariés tout secteur confondu, reste un chantier ouvert. Malgré les avantages apportés depuis 2019 par la loi PACTE, qui exonère du forfait social de 20 % les entreprises volontaires. Quant à la « participation », elle n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de 50 salariés. En conséquence de quoi elle ne concerne que 5 millions de salariés sur les 20 millions que compte le secteur privé.
Ainsi, les futurs candidats à l’élection présidentielle de 2022 seraient légitimes à formuler des propositions nouvelles en matière de participation financière des salariés. Car, oui, la réduction des inégalités sociales passe par ce levier. Comme par celui d’un plein accès à l’emploi pour toutes les générations et origines sociales et ethniques. Du coup, parallèlement, citoyens et candidats saisiraient cette opportunité pour réinterroger aussi l’échelle des salaires dans les entreprises… Echelle trop souvent encore disproportionnée.
Le classement 2020
(en millions d’euros, extrait du classement)
Les valeurs en bleu symbolisent une stabilité de la fortune par rapport à 2019. Celles en rouge symbolisent une baisse.
En rouge, les pourcentages représentent l’évolution 2020-2019.
Les noms en italique indiquent les nouveaux entrants dans le classement.
- Rang dans le classement
- 21 – Pierre Bellon et ses enfants – 4 500 M€ (-31 %) – Sodexo – Restauration et services
- 47 – Louis Le Duff – 2 100 M€ (-9 %) – Groupe Le Duff – Agroalimentaire et Restauration
- 120 – Didier Ferré et sa famille – 800 M€ (-6 %)– Ferré Hôtels – Hôtellerie
- 142 – Famille Desseigne-Barrière – 610 M€ (-36 %) – Groupe Barrière – Casino et Hôtellerie
- 162 – Pierre Esnée et sa famille – 525 M€ (-9 %) – SD2P – Hôtellerie
- 184 – Stanislas Rollin et sa famille – 470 M€ (-9 %)– Boissée Finances – Hôtellerie
- 207 – Olivier Bertrand – 400 M€ ( -27%) Groupe Bertrand – Restauration
- 207 – Marie Farines et sa famille – 400 M€ ( -33 %) – Groupe Privilège – Hôtellerie
- 203 – Jacques Gad et Françoise Roblin et famille – 400 M€ ( – 11%) -Cofigar – Hôtellerie
- 226 – Jean-Claude Lavorel et sa famille – 380 M€ (- 24 %) – Les Clés du Luxe – Hôtellerie
- 226 – Patrick et Gérard Pariente – 380 M€ ( – 10%) – Influence – Hôtellerie
- 249 – Pierre Bastid– 350 M€ ( – 12 %) – Hougou – Hôtellerie
- 249 – Jean-Bernard et Céline Falco et famille – 350 M€ (=) – Paris Inn Group – Hôtellerie
- 258 – Robert Zolade – 330 M€ (- 40 %) – Elior – Restauration sous contrat
- 316- Jean-Louis Costes – 280 M€ (-26 %) – Saint-Honoré – Hôtellerie et Restauration
- 343 – Olivier Sadran – 250 M€ (- 31 %) – Newrest – Restauration et services
- 386 – Gilbert et Thierry Costes – 220 M€ (- 19 %) – groupe Beaumarly – Restauration et Hôtellerie
- 410 – Famille Machefert – 200 M€ – groupe Machefer – Hôtellerie
- 452 – Serge Cachan et Frères – 180 M€ (- 31 %) – Astotel – Hôtellerie
- 452 – Anne Jousse et famille Bessé – 180 M€ (- 18 %) – groupe Bessé Signature – Hôtellerie
- 452- Samy Marciano– 180 M€ (- 10 %) – La Clé Group – Hôtellerie
- 452 – Jérôme Quentin-Mauroy – 180 M€ (- 10 %) – Tagerim- Hôtellerie
- 487 – Hugues et Loïc Giroud et famille – 160 M€ (- 11 %) – Sogepar – Hôtellerie
Précisions
Nous n’avons pas retenu dans ce classement les fortunes dont les activités de l’hôtellerie restauration ne constituent pas le principal actif du patrimoine professionnel.
C’est le cas de Francis Holder (groupe Holder, agro-alimentaire, 700 M€), Michel Reybier (Domaines Reybier, Hôtellerie et vins, 1900 M€, propriétaire des hôtels La Réserve et du concept hôtelier MOB), Olivier Pelat (EuroEquipements, immobilier et hôtellerie, 1 200 M€, important franchisé d’Accor) et Hubert Guillard et sa famille (CHG Participations, Assurances et Hôtellerie, 400 M€).
Non retenus également les fournisseurs de la branche comme Hugues Dewavrin et sa famille (Pomona, 480 M€) et la famille Richard (Café Richard, 270 M€).
Contestent l’évaluation de Challenges et refusent de figurer dans son classement : Pierre Esnée et Serge Cachan
Focus sur le seul entrant 2020…
Source : HR-infos et magazine Challenges – N° 662 – 9 juillet 2020
- Famille Machefert – groupe Machefert : cette famille possède un groupe hôtelier (CA : 41 millions) qui aligne une vingtaine d’établissements, du 3 au 5 étoiles, à Paris (Normandy, Kube, IK…), Saint-Tropez et Marrakech.
… Et sur les neuf sortants de 2020
- 378 – Paul Dubrule – 230 M€ – AccorHotels – Hôtellerie et services
- 415 – Gérard Pélisson – 200 M€- AccorHotels – Hôtellerie et services
- 443- Thierry et Chrystel Bourdoncle – 180 M€ – Groupe Bourdoncle – Restauration
- 443 – Jacqueline Veyrac et sa famille – 180 M€ – Grand Hôtel – Hôtellerie
- 467 – Antoine Chevane et sa famille – 170 M€ – groupe Floirat – Hôtellerie
- 467bis – Gérard, Christophe et Alexandre Joulie – 170 M€ – Groupe Joulie – Restauration
- 467ter – Jean-Louis Meyer et Alain Trichot – 170 M€ – CFH – Hôtellerie
- 485 – Jean-Marc Philippini et Marc Lafourcade – 160 M€ – MMV – Hôtellerie
- 485 – Alexandre Guillen – 160 M€ – Hôtel Napoléon – Hôtellerie
Méthodologie
- Par fortunes, Challenges entend « fortunes professionnelles ». Calculées, pour les sociétés cotées, à partir des cours de bourse multipliés par le nombre d’actions détenues, et pour les sociétés non cotées, à partir de leurs chiffres d’affaires, résultats et actifs nets
- Les estimations sont soumises aux intéressés, selon une procédure contradictoire qui permet de les corriger ou de les contester publiquement.
- Sont exclus des chiffrages les biens immobiliers détenus à titre personnel, les oeuvres d’art et les signes extérieurs de richesse.
Enquête : magazine Challenges
Texte : Jean-François Vuillerme, avec Challenges pour le « Focus »