22 des 60 enseignes hôtelières intégrées ont commencé à déstandardiser leur offre physique. La majorité ont engagé la rénovation de leurs hôtels. Mais une bonne partie de leur parc, surtout dans les gammes économiques, n’a pas été encore modernisée, faute d’investissements suffisants de la part des fonds qui contrôlent les groupes hôteliers.
(Photo-montage Coach Omnium)
Les chaînes hôtelières sont à un tournant de leur histoire, affirme Mark Watkins, le président du cabinet Coach Omnium, dans la dernière édition de son Panorama des chaînes hôtelières intégrées. Un constat qui vaut aussi pour les chaînes volontaires, dont le cabinet publie simultanément l’étude.
Les unes et les autres sont déstabilisées par les « ogres » de la distribution on line. En recourant quasi systématiquement aux moteurs de recherche et fréquemment aux OTA’s (agences de voyages en ligne), les clients ont bouleversé les processus de choix de l’offre hôtelière. Estompant au passage la frontière entre hôtels intégrés et hôtels indépendants. Et marginalisant les outils de commercialisation et de fidélisation mis en place par les chaînes.
Ajoutez à cela un environnement économique défavorable en 2013, la frilosité des fonds d’investissement qui contrôlent les groupes intégrés, la fragilité financière et commerciale des petites structures indépendantes et la concurrence des autres modes d’hébergement touristique. L’hôtellerie française est bien sous pression. Mais elle offre toujours des opportunités à tous les investisseurs et les exploitants qui font bien leur métier…
Questions directes d’HR-infos et réponses sans détour de Mark Watkins.
Chiffres clefs 2013
Sur les chaînes intégrées
-* leur parc d’hôtel progresse en 18 mois de 48 unités (3 059, +1,9%)
-** capacité moyenne de leur hôtel : 81 chambres
-* leur nombre de chambres augmente de 3 202 (246 581, + 1,3 %)
-** ce parc représente 18 % des hôtels français (classés et non classés) et 39,8 % des chambres
-* meilleurs développeurs : Accor (+ 40 hôtels), B&B (+ 17), Louvre Hotels (+11)
-** 23 enseignes sur 60 ont perdu des unités, 14 en ont gagnés
-* taux d’occupation : 65,1 % (vs 56,3 % chez les indépendants), en recul de 1,2 point sur 2011
-* elles captent 47 % des nuitées hôtelières, contre 54 % en 2011
-* 55 % de leur nuitées sont générés par une clientèle d’affaires
-* 44 % des clients sont d’origine étrangère
Sur les chaînes volontaires
-* elles regroupent 25 enseignes
-** Le réseau Logis pèse 45 % du parc d’hôtels et 29,5 % du volume de chambres
-*elles ont perdu 166 hôtels en 18 mois (5 409 adresses, – 3 %)
-** 662 hôteliers les ont quitté, mais 496 les ont rejoint
-** turn-over proche de 12 %
-* elles ont perdu 2 686 chambres (160 685 chambres, -1,3 %)
-** capacité moyenne d’un hôtel : 30 chambres
-** près de 45 % des hôtels sont positionnés en gammes économiques (vs 54 % en 2010)
5 409)
-* 15 % des hôtels pratiquent la muti-affiliation (contre 20 % en 2011)
-* leur parc représente 32 % des hôtels français (5 409) et 27 % du volume de chambres (160 685)
Questions à Mark Watkins
– Avec une base de comparaison sur 18 mois (janvier 2012-juin 2013), vous constatez de nouveau une légère progression du parc contrôlé par les chaînes intégrées. Pourtant, vous notez aussi qu’elles ne représentent plus que 47 % des nuitées hôtelières contre 54 % deux ans plus tôt.
Comment expliquez-vous ce recul de leur part de marché alors que leur réseau est en hausse et qu’elles affichent des taux d’occupation plus élevés que les indépendants?
-*«Les taux d’occupation des chaînes hôtelières ont été en recul, mais ceux des indépendants aussi. La baisse de parts de marché, qui progresse depuis au moins 2 ans, peut s’expliquer par la portée d’Internet sur la clientèle des hôtels, y compris d’affaires. 93 % des clients d’hôtels passent par le Net pour rechercher un hôtel où séjourner. 4 sur 10 réservent régulièrement via les OTAs et seulement 3 sur 10 via les centrales de réservations des chaînes. Et cette part diminue. Avec les possibilités de grands choix d’hôtels qu’offrent les OTAs, les clients partent sans a priori pour leur hébergement (8 clients sur 10) : chaîne, indépendant, cela leur est égal dans la majorité des cas. La seule vraie limite est celle d’un budget à ne pas dépasser pour les clients de loisirs, comme désormais, pour la clientèle d’affaires.»
-*«Les OTAs ont donc pour effet de rééquilibrer la demande en mettant en avant des hôtels indépendants qui n’auraient pas forcément été choisis autrement. Il faut ajouter deux autres phénomènes qui ne vont pas dans le sens des chaînes :
-** une lassitude par la clientèle à l’égard des chaînes intégrées (surtout standardisées) dès lors où ces dernières n’innovent plus et ont une grande partie de leur parc d’hôtels qui souffre d’un manque de rénovations,
-** des contrats corporate signées entre les chaînes et les entreprises qui sont devenus souples, voire peu contraignantes pour les voyageurs. Il est désormais « recommandé » aux collaborateurs voyageurs d’affaires de fréquenter les chaînes avec lesquelles des accords ont été signés, mais il n’y a quasiment plus d’obligations, à la condition de respecter le budget inscrit dans la politique de voyages des entreprises (selon nos deux dernières études Coach Omnium pour American Express sur les voyages d’affaires).»
– S’agissant des chaînes volontaires, leur réseau s’érode un peu mais monte aussi en gamme. Leur intérêt, expliquez-vous, serait de se repositionner comme des labels de qualité et de genre.
Reste que les adhérents attendent de leur part de l’efficacité commerciale. Or celle-ci fait parfois défaut, avec un retour sur investissement faible ou nul. N’est ce pas l’une des deux grandes raisons, finalement, de ce recul relatif des chaînes volontaires ? L’autre raison étant que les fermetures définitives s’observent surtout parmi les petits établissements affiliés ou totalement indépendants.
-* «Sous la pression de leurs membres, les chaînes hôtelières volontaires se sont lancées dans la course aux clients, mimant la démarche des intégrés. Sauf qu’elles n’en avaient pas la culture, ni les moyens. Elles ont passé beaucoup de temps à faire croire qu’elles obtenaient des résultats commerciaux patents. Il est en effet difficile de savoir combien de clients sont réellement influencés par les actions, l’image et la notoriété d’une chaîne volontaire, hormis via les réservations quantifiables. Et encore, les internautes peuvent être venus par hasard sur un site de chaîne volontaire, sans être influencés par elle, sans la connaître au départ.»
-* «Aujourd’hui, les OTAs, encore elles, mettent à mal la petite crédibilité commerciale des chaînes volontaires, en proposant tout ce que celles-là ne peuvent pas proposer : un large choix, ouvert et varié, à tous les prix sur chaque destination. De plus, il coûtera de plus en plus cher de faire référencer sa centrale de réservations sur le Net.»
-*«C’est pourquoi je pense aujourd’hui que les chaînes volontaires auront intérêt à ne plus chercher à jouer sur le registre de la conquête directe de clients, mais plutôt sur celle plus indirecte de l’image. Cela risque de faire partir des adhérents, mais de toute façon, face à la performance commerciale des OTAs, les hôteliers vont de plus en plus se demander s’il n’est pas mieux pour eux de payer des commissions aux OTAs plutôt que des redevances fixes (et souvent jugées chères) à un réseau.»
»
– Reste une troisième composante, les indépendants sans affiliation. Ils représentent encore 1 hôtel sur 2 et 1 chambre sur 3. Ce sont eux qui souffrent le plus ?
-*«Ces indépendants isolés sont sans doute les plus fragiles. Mais ce n’est pas une généralité, ni une fatalité. Une étude que nous avions réalisée il y a deux ans m’a fait changer radicalement tous mes points de vue sur le sort de l’hôtellerie mais aussi sur l’intérêt d’adhérer ou pas à une chaîne. Ainsi, seulement 1 hôtelier sur 5 développe une commercialisation active pour son hôtel. Les autres ne font rien ou engagent une simple commercialisation passive ou attentiste. En exergue, le premier grand malheur des hôteliers vient …d’eux-mêmes. Ils sont les premiers responsables de leur sort, et ni la conjoncture difficile, ni les clients exigeants, ni la fiscalité lourde, ni les charges qui s’élèvent ne peuvent excuser un défaut de prospection commerciale. »
-*«Il est clair aujourd’hui que tous les problèmes des hôteliers, y compris pour les plus petits établissements, se régleront par davantage de ventes actives, ciblées et organisées. Cela permet évidemment d’augmenter le chiffre d’affaires et donc, bien sûr, de payer les charges. Cela règle au moins 90 % des problèmes. En somme, il y a des hôteliers qui ont tout compris commercialement et qui se portent bien. Et d’autres, affiliés ou non à un réseau, qui vivotent, voire disparaissent.»
– Le parc hôtelier continue de perdre des hôtels et des chambres, dites-vous. Et pourtant, le nombre d’enseignes présentes en France n’a jamais été aussi élevé, près de 90.
De nouvelles marques continuent donc d’entrer sur le marché français, leurs opérateurs sachant pourtant qu’ils ne pourront pas les développer au-delà de quelques dizaines d’unités. Ce développement à petite échelle est-il viable longtemps ? La notion de taille critique à l’échelle nationale n’existerait pas dans l’hôtellerie standardisée?
-*«Les chaînes internationales qui ont peu d’hôtels en France en ont généralement beaucoup ailleurs ! Nous avions calculé il y a 4 ou 5 ans qu’il faut un minimum de 150 hôtels à une chaîne pour exister. Il est probable que l’impact d’un réseau aura de moins en moins d’importance à cause ou grâce à internet, comme je l’ai déjà expliqué. Il est probable aussi que les chaînes devraient en profiter pour revoir leur modèle économique mais surtout commercial.»
-*«Les clients passent certes par le Net pour rechercher des hôtels mais finissent par y loger, en réel. La valeur ajoutée des réseaux doit donc être revue vers des concepts originaux qui surprennent et vers davantage de soins apportés à l’accueil et à la relation clients. Se battre pour faire baisser les coûts de représentation (commissions) sur internet est bien sûr une bonne chose, mais se battre pour être en permanence le premier visible dans les moteurs de recherche coûtera à court terme trop d’argent aux chaînes.»
– Les OTA semblent devenir les maîtres du jeu. De fait, elles contrôlent une bonne partie de l’offre et de la demande.
Vous semblez donc considérer que les hôteliers pourront difficilement s’affranchir des flux de clientèle qu’elles génèrent, mais à des niveaux de marges, et c’est là que le bas blesse, inférieurs à ceux de la vente en directe.
Ces derniers mois, des syndicats professionnels mais aussi des hôteliers de terrain regroupés en club, ont engagé des actions juridiques et commerciales pour tenter de relancer la distribution directe et de renégocier les contrats passés avec ces OTA, contrats qui se sont révélés être des pièges. Que pensez-vous de ces initiatives ?
-* «Les OTAs, que personne n’avait vu arriver, sont effectivement devenus les maîtres du jeu sur internet, avec les moteurs de recherche, qu’il ne faut pas oublier (Google majoritaire en Europe et Google et Yahoo aux Etats-Unis). On jette la pierre aux OTAs car elles imposent des contrats léonins aux hôteliers profitant d’une entière passivité en face d’elles et d’un manque de réaction, laquelle est en train de venir tout doucement. Les petites victoires annoncées en grande pompe par les syndicats hôteliers ne sont rien à côté de l’hégémonie à tous points de vue que représentent les OTAs sur le marché. Ce sont elles qui aspirent le plus de clients d’hôtels et demain de toutes les autres formes d’hébergements touristiques. La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. Si je suis d’accord sur le fait qu’il faille que les hôteliers puissent sortir de beaucoup d’obligations que les OTAs leur dictent de manière unilatérale, il faut redonner à César ce qui lui appartient.»
-* «Les OTAs existent et il faut faire avec elles. Elles permettent à des hôteliers indépendants de trouver des clients additionnels qu’ils n’auraient jamais pu ou su trouver autrement. Les OTAs sont des sortes d’aiguillages de clientèles seulement, car elles ne génèrent pas de gains de nuitées : les taux d’occupation de l’hôtellerie française sont à peu de chose près les mêmes depuis ces dernières années, malgré la montée en puissance des OTAs. En revanche, les OTAs rééquilibrent le marché en permettant à des indépendants de prendre en quelque sorte leur revanche sur les chaînes, par une meilleure visibilité sur le toile. Alors oui, ça a un coût : des commissions qui vont de 17 % en moyenne et peuvent monter à 25 %, voire 30 % si l’hôtelier veut être mieux placé sur les sites des OTAs.»
-* «Mais si on part du principe que la grande majorité des hôteliers ne développent aucune commercialisation active pour leur établissement, les OTAs peuvent être leur solution pour vendre des chambres. De plus, la commission n’est à payer qu’après la vente, lorsque le client est là, alors que d’autres moyens, comme d’employer un commercial, sont la plupart du temps des charges fixes, sans être assuré d’un rendement. En somme, la commission correspond à une charge commerciale, tellement négligée par les hôteliers. Ils oublient que de conquérir des clients coûte fatalement de l’argent. Si l’on parvient à obtenir que les OTAs soient plus souples et plus sympa avec les hôteliers, il n’y a pas de raison de les assassiner, car elles ont un vrai rôle à jouer. Et surtout, elles conviennent par leurs services et garanties à la clientèle. Et c’est en cela que l’on ne peut les détrôner, car globalement, elles ne trompent pas les consommateurs.»
-* «J’aime beaucoup l’initiative de RED (Réservation En Direct) ou de Fairbooking, notamment sur l’utilité d’informer le public via les médias à propos des pratiques contestables des OTAs, tout comme on parle souvent de celles, abusives, des grands distributeurs sur les fabricants-producteurs. Mais tant que les clients d’hôtels ne se sentiront pas lésés par les OTAs, et ce n’est pas le cas pour le moment, je ne vois encore une fois pas comment gagner toute guerre contre elles, sinon quelques dérisoires batailles secondaires.»
-* «En revanche, je suis très réservé sur l’idée d’informer les clients sur les coulisses de la profession et ses problèmes. Les clients d’hôtels, y compris les voyageurs d’affaires, viennent à l’hôtel pour se détendre, s’évader, voire se dépayser. Ils n’ont vraiment pas envie de savoir ce qui fait de la peine aux hôteliers et quels sont leurs soucis. Ce serait comme si un acteur se mettait sur scène à expliquer aux spectateurs d’une pièce de théâtre comment sa petite amie l’a quitté et combien il a mal au genou !»
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Textes et questions écrites à Mark Watkins : Jean-François Vuillerme
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