Une communication conduite de main de maître par le chef du restaurant trois étoiles Le Suquet à Laguiole (Aveyron), où la sincérité apparente de ses déclarations est allée de pair avec la maîtrise des canaux qu’il a empruntés pour leur donner une forte résonance.
Sébastien Bras, aidé en cela par son agence de relations presse (Design Project), s’est appuyé sur le plus puissant des réseaux sociaux, Facebook, et sur l’une des trois plus grandes agences de presse au monde, l’AFP, pour annoncer le 20 septembre sa décision de demander à ne plus figurer dans la sélection du Guide Michelin à partir de 2018.
Une résolution qui en l’espace de quelques jours aura été vue, lue, écoutée des centaines de milliers de fois en France et dans le monde entier (y compris dans les colonnes de die Welt, du New York Times ou du Guardian). Résolution qui a suscité surtout des commentaires positifs, bienveillants voire élogieux.
On en prendra pour preuve ces quelques commentaires (parmi un bon millier !) sur Facebook : « Bravo et respect ! » ; » Bravo, c’est très courageux, votre maison restera toujours magnifique » ; « À chacun ses valeurs … chapeau Monsieur, des personnes comme vous vont faire évoluer les mentalités » ; « Même sans étoiles je reste persuadée que vous nous ferez toujours découvrir des mets extraordinairement délicieux » ; « Si votre cuisine est bonne, pas besoin du guide Michelin pour la continuité. Bonne décision ». Etc, etc.
Un commentaire a pris toutefois le contre pied des quelques réactions s’en prenant au Bibendum ou à Bras lui-même, accusé calomnieusement de « cracher dans la soupe » par les cracheurs de venins qui empoisonnent la toile. Le commentaire d’un ancien responsable commercial du manufacturier…, qui considère que le Michelin « est et restera un outil indépendant au service des usagers. Par ses pictogrammes, il apporte une information utile aux voyageurs. La pression évoquée par Mr Bras est celle de tout compétiteur en recherche de perfection ».
La seule réaction mi figue mi-raisin mais utile est venue justement du guide lui-même. « C’est la première fois qu’un chef nous demande de ne plus figurer dans le guide, nous en prenons acte et nous respectons », a certes déclaré Mme Dorland-Clauzel, membre du comité exécutif du groupe Michelin.
Mais la directrice du guide de préciser dans la foulée que le retrait ne serait « pas automatique ». « Les équipes vont examiner la demande, nous allons réfléchir à ce que nous allons faire », a-t-elle dit. Le guide Michelin n’est pas fait pour les restaurateurs, mais pour les clients, son indépendance réside aussi dans l’attribution des distinctions. » Dont acte !
La pression des grands chefs étoilés, souligne enfin Claire Dorland-Clauzel, est «inhérente à l’excellence». «L’excellence implique le travail et la rigueur, c’est indéniable». Mais la cuisine «n’est pas le seul domaine» concerné, «c’est vrai aussi pour les grands sportifs».
De cette compétition, Sébastien Bras et sa famille n’ont plus voulu justement, tout en ne renonçant pas à l’excellence. Il ne manquera pas de critiques bien intentionnés pour à l’avenir jauger le Suchet de demain à l’aune de ses distinctions d’hier, si tant est que l’adresse elle-même disparaisse du guide, si telle est bien l’intention de Sébastien Bras et la décision des dirigeants du guide Rouge, qui en ont seul le pouvoir.
Dans un monde qui ne jure que par la mise en concurrence et la hiérarchisation des personnes et le spectacle de leur affrontement, même si le Michelin n’a, jusqu’à maintenant, pas grand chose à voir avec les concours de Télécuisineréalité, nous ne doutons pas que Sébastien Bras continuera de s’adonner à sa passion de servir la cuisine, l’Aubrac et ses clients. La puissance du bouche à oreille et des réseaux sociaux et les habitués du Suquet s’occuperont de remplir la salle comme auparavant, merveilleusement dirigée (nous en fûmes témoin comme client) par Véronique, l’épouse de Sébastien.
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